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c’est de se défaire de cet homme gênant. « Qu’il aille avec Dieu ! Qu’il s’en aille : le plus tôt sera le mieux ; » mais non pas cependant avant que ce fidèle gonfalonier de l’Église lui ait remis à lui, le Pape, les forteresses qu’il occupe au nom de l’Église. Ces forteresses rendues, s’il passe en Toscane, que la Seigneurie, encore une fois, fasse de lui ce qui lui plaira ; ce qui plairait le plus au Pape, ce serait qu’elle « lui donnât la poussée. » Les gens d’armes du duc sont partis par terre sans savoir comment ils seront reçus ; Govanpaolo et les Siennois les guettent ; lui-même ne sait ni où il ira, ni comment il ira. C’est une épave lamentable, ballottée de flot en flot : « On verra où le vent le portera. » Le vent le porte à Ostie, où le Pape le fait arrêter. Dans les premières heures, on ignore ce qu’il est devenu ou va devenir : « On ne croit pas, écrit Machiavel en langage chiffré, qu’il lui soit fait d’autre mal pour le moment, et l’on n’entend pas de source sûre que le Pape ait envoyé dévaliser ceux de ses hommes qui sont venus par terre, mais on croit que la nature opérera d’elle-même, s’ils viennent par ici sans sauf-conduit de personne. »

De fausses nouvelles, toutes sortes de bruits circulent : les gens bien informés, ceux qui arrivent de tel endroit, ceux qui écoutent aux portes, bavardent. On dit que le duc a été jeté dans le Tibre. Sur quoi Machiavel remarque, avec une horrible tranquillité : « Je ne le garantis pas et je ne le nie pas ; je crois bien que, si cela n’est pas, cela sera, et l’on voit que le Pape commence à payer ses dettes très honorablement et qu’il les efface avec le coton de l’encrier (con la bambagia del calamaio) ; de tous néanmoins ses mains sont bénies, et elles le seront d’autant plus qu’il ira plus avant : puisqu’il est pris (le duc), qu’il soit mort ou vif, on peut marcher sans s’inquiéter de lui. » C’est une infortune si soudaine que Romolino est saisi de pitié, il se jette en larmes aux pieds de Jules II, implorant grâce. Mais le Saint-Père, inflexible, veut les forteresses de l’Église. Sa garde, par son ordre, se rend à Ostie, d’où elle ramène César captif. On le voit, sur la crête des vagues qui l’enveloppent, successivement à Saint-Paul, à Magliana (à sept milles de Rome), au Vatican. Les racontars reprennent de plus belle ; tantôt on dit qu’il s’est enfui, et tantôt qu’il est rattrapé. Machiavel est gai, il plaisante : « Si vede che questo Papa lo fa seco ad ferri puliti. » Ce qu’il a annoncé pourra bien se vérifier du tout au tout. Les péchés