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de César « l’ont peu à peu conduit à la pénitence : que Dieu laisse aller les choses pour le mieux ! » Jules II lui aussi, sous la gravité et la majesté pontificales, se déride. Quand il entend dire que don Michele, l’un des vieux complices du duc, a été pris par les Florentins, il insiste pour qu’on le lui remette : « Je veux, dit-il, apprendre de lui à gouverner l’Eglise. » A travers « mille mutations, les affaires de César vont toujours déclinant. » On n’ose se risquer à prédire quelle conclusion aura son histoire, mais « on la conjecture triste. » Probablement, lorsque le cardinal d’Amboise sera parti, on le transférera du Vatican au château Saint-Ange, à bonne fin, la fin que, par lui, eurent tant d’autres. Ce qui n’empêche pas que des combinaisons s’ébauchent ; on continue à vouloir marier la fille du duc au Prefettino, neveu du Saint-Père. En même temps, et à tout événement, on instruit le procès des Borgia ; on recherche leurs crimes, à propos de la capture d’un des auteurs de l’empoisonnement du cardinal de Santo Angiolo ; on suppute leurs déprédations, on suscite les réclamations.

Enfin, vaincu, brisé physiquement et intellectuellement, César cède : César, ou plutôt cet on ne sait quoi, d’aspect encore élégant et puissant, qui, à vingt-sept ans, n’est plus que le fantôme de César. Aut Cæsar, aut nihil… Incipit esse nihil. Voici qu’il commence à n’être rien. Ainsi s’en va, à la dérive, le cadavre du Prince. « Qu’il s’en aille où Dieu voudra ; le plus tôt sera le mieux ! » Il s’en va à Naples, auprès de Gonzalve de Cordoue, qui lui a donné sa parole. Quelle dérision ! César Borgia de France, duc de Valentinois, croyant qu’une parole humaine a une valeur, et que ce que la sienne n’a pas valu, celle d’un autre le vaudra ! Par un juste retour des choses, — laudabilis perfidia ! s’écriera encore, un siècle après, le président de Thou, — le Grand Capitaine s’assure de sa personne et l’envoie prisonnier en Espagne, à la mota de Medina. Il s’en échappe pour aller, dans un fossé de Viana, mourir, soldat sans nom, d’une mort sans gloire. « Mort, à la vérité, qui semble trop honorable et trop heureuse pour une personne qui méritait une fin plus désastreuse ! » dira quand même son historien Tommaso Tommasi ; et si ce n’est pas sa seule épitaphe, — les poètes lui en ont consacré beaucoup, — c’est la moins dure.

La faute du Valentinois, énorme au jugement de Machiavel, fut d’avoir cru que le pape Jules II oublierait les injures du cardinal de La Rovere.