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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/917

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Manfredi (moins l’ignominie dont il est souillé), qui lui garantit Faenza ; du meurtre de Vitellozzo, d’Oliverotto, et des Orsini, qui le délivre d’une perpétuelle menace. — C’est vrai, mais il n’importe, car c’est le cas ordinaire : il est peu de crimes gratuits, et, hors de ceux qu’inspire la passion, il n’en est pas qui n’aient l’intérêt pour mobile. Cela ne peut pas être et Guichardin n’essaie pas d’en faire une justification.

Des crimes de César, Machiavel, lui, ne dit même pas cela. Il n’en dit rien. Volontairement il les ignore. Ils sont pour lui comme s’ils n’étaient pas, parce qu’ils n’étaient pas « son sujet, » à l’exception de deux : le meurtre de Ramiro d’Orco et le guet-apens de Sinigaglia. Ce n’est pas à cause d’eux, de ces crimes, qu’il propose César pour modèle aux princes : seulement, à cause d’eux, il ne se retient pas de le leur donner pour modèle ; et il serait permis de trouver dans la façon dont il en parle comme un éloge sous-entendu, faute de l’expression d’un blâme, s’il n’était évident qu’il ne s’occupe que de l’efficacité politique, et non de la qualité morale de l’acte ; choses qu’il ne confond jamais. Il semble même que, prévoyant le parti que de ce chapitre on pourrait tirer contre lui, Machiavel ait voulu préciser et bien faire sentir son intention en cette phrase : « Celui donc qui juge nécessaire dans son Principat nouveau de s’assurer de ses ennemis, de se gagner des amis, de vaincre ou par force ou par fraude, de se faire aimer et craindre des peuples, suivre et révérer des soldats, d’éteindre ceux qui le peuvent ou le doivent offenser, de rénover par de nouvelles dispositions les institutions anciennes, d’être sévère et agréable, magnanime et libéral, de détruire la milice infidèle, d’en créer de la nouvelle, de se conserver l’amitié des rois et des princes, de sorte qu’ils aient à lui faire du bien avec grâce, ou à l’offenser avec égard, ne peut trouver d’exemples plus frais que les actions de celui-ci. »

Celui qui juge nécessaire de vaincre ou par force ou par ruse, et en qui, d’ailleurs, la nécessité supprime le scrupule : — Si tu n’es pas celui-là, n’imite pas César ! Mais voilà ce que Machiavel admire en César et offre à l’admiration, à l’imitation du Prince. A reprendre ligne à ligne ce chapitre VII, qui est à peu près le seul passage où il en traite explicitement, ce qu’il admire en César, c’est que César « ait mis tout en œuvre, ait fait tout ce qu’un homme prudent et virtuoso, — ce qui ne signifie « vertueux » qu’au sens où l’Italie de la Renaissance connut la virtù,