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ordre. M. Grand est la fatuité même. Mlle Sorel a joué le rôle de Rosine en excellente comédienne. Mlle Cerny n’a guère qu’une scène : la scène des deux femmes : elle y est très suffisante. Mlle Lecomte n’a qu’un bout de rôle : elle y est charmante.


Si la pièce de M. Bataille est trop souvent languissante, celle de M. Henry Bernstein, Le Voleur, est, au contraire, toute en mouvement ; elle vous empoigne dès les premières scènes et ne vous laisse plus respirer. Aimez-vous les romans policiers ? En voici un qui, pour l’invention ingénieuse, la combinaison savante et la logique dans l’agencement des faits, atteint à la perfection. M. et Mme Lagarde ont, comme hôtes, dans leur château de campagne, leurs amis Richard et Marie-Louise Voysin, un gentil ménage d’amoureux. Marie-Louise adore son mari ; et nous en avons eu la preuve sous les yeux. Le fils de la maison, le jeune Lagarde, un gamin de dix-neuf ans, ne s’avise-t-il pas de faire la cour à Marie-Louise ? Celle-ci, qui a pu être coquette, car elle est jeune et gaie, signifie, aussi catégoriquement qu’il est possible, à Chérubin qu’il n’y a rien à faire. Le drame ne va pas tarder à apparaître. Depuis quelque temps, des sommes importantes disparaissent du tiroir de Mme Lagarde : vingt mille francs, environ. Il faut que le voleur soit dans le château même. Pour le découvrir, on a fait venir un ancien magistrat, policier amateur. Celui-ci vient de déclarer, ce soir même, que son enquête était terminée. Et devant les Lagarde et les Voysin réunis, il affirme que le voleur est le jeune Fernand, le fils de M. Lagarde ! Invité à comparaître, Fernand avoue. Le Rideau baisse, et nous restons terrifiés par l’horreur de ce drame de famille.

La toile se relève. Richard Voysin et Marie-Louise sont remontés dans leur chambre. On cause. Très vite le mari découvre que la personne qui a volé les vingt mille francs, c’est sa femme. Marie-Louise s’humilie et s’excuse dans une confession éplorée. Oui, elle a volé. Mais c’est parce que, lancée dans un monde riche, avec de médiocres ressources, elle a voulu, pour être aimée de son mari, arborer des toilettes aussi élégantes que celles des autres femmes. Elle a volé pour payer ce luxe, et c’est une preuve d’amour. Tel est le second coup de théâtre. Voici le troisième. Car je vous ai dit qu’on ne nous laisse pas languir. Au moment où il se sent près de s’attendrir et de pardonner, Richard est soudain touché par un soupçon. Pourquoi le jeune Fernand, tout à l’heure, a-t-il assumé l’horrible accusation de vol ? Et pourquoi serait-ce, sinon parce qu’il est l’amant de Marie-Louise ? Sur ce soupçon du mari, le drame repart, et se lance à fond de train dans