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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/98

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voyons le symbole de l’été dans la passion débordante des deux amans ; l’automne, où la terre reçoit les derniers rayons du soleil, et semble un moment se ranimer, sans arriver à une floraison nouvelle, correspond à l’épisode du mariage platonique de Tristan avec la seconde Iseult. Et la mort des deux amans est enfin une interprétation poétique de l’hiver, amené par l’automne, comme la mort de Tristan et d’Iseut la blonde est provoquée par la jalousie d’Yseut aux blanches mains, l’Iseut automnale. » Ainsi du moins s’exprime, ou à peu près, — car je le cite ici d’après la traduction de M. Maurice Kufferath, — un wagnérien de marque, M. Hans de Wolzogen, et en vérité, je me ferais fort, en usant de cette « méthode, » de découvrir un « mythe solaire, » je ne dis pas dans n’importe quelle légende, mais dans n’importe quel événement de l’histoire. Si M. Bédier n’a eu d’objet, en nous reparlant de Thésée et du Minotaure, que d’en finir avec le paradoxe du « mythe solaire, » — sur lequel au surplus se seront édifiées naguère tant de fortunes d’érudits, — nous ne pouvons donc que l’en féliciter, et notre critique se borne alors à dire que, là où il Ta fait, ce n’en était peut-être pas la vraie place.

Quels sont donc les traits du Roman de Tristan auxquels on croit pouvoir assigner une origine celtique, et d’abord les plus apparens ou les plus extérieurs de tous ? Il y a, premièrement, la présence de la mer, nous dit-on, la mer tumultueuse, la mer profonde, la mer infinie ; et il est bien certain qu’en effet la mer, dans Tristan, joue un rôle ou occupe une place qu’elle ne tient point dans la Chanson de Roland. Elle l’occupe aussi dans l’Odyssée ; et il en résulte donc que Tristan et l’Odyssée n’ont pas été trouvés « dans les bois. » Mais faut-il aller plus loin ? Faut-il faire de la mer « un acteur, » dans le drame de Tristan, et quand on en aurait fait un, qu’aurait-on prouvé ? « Que les tableaux que le roman nous offre sont nés dans l’âme d’un peuple maritime ? » Assurément ! Mais les populations celtiques sont-elles les seules populations maritimes, et la mer, qui n’est à personne, serait-elle peut-être leur propriété littéraire ? On le croirait, à entendre quelques-uns de nos celtisans. M. Bédier, cite à ce propos une assez belle page de G. Paris, et il ajoute : « Cette page sur la mer est vraiment admirable, mais G. Paris s’y montre plus poète que tous les anciens poètes de Tristan réunis. Chez eux la mer ne joue nullement le rôle d’un acteur passionné,