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amis auraient-ils oublié les enseignemens de Polybe au sujet de la constitution romaine ? Les occasions de se les rappeler ne manquaient pas au milieu des troubles qui la mettaient en péril. Ils ont dû en parler plus d’une fois ensemble pour atténuer les tristesses que leur causaient les malheurs publics, et qu’y aurait-il d’étonnant que Rutilius se fût souvenu, dans son exil, d’une de ces conversations qui l’avait plus frappé que les autres ? Sur ces souvenirs, que le temps avait affaiblis, mais non effacés, Cicéron a brodé sans scrupule ; mais il est bien possible que sa fantaisie ait travaillé sur un fond véritable. On peut croire aussi que les leçons de Panætius n’ont pas disparu de la mémoire de ses disciples, et qu’ils sont revenus plus d’une fois sur les sujets qu’il aimait à traiter. On a vu que ces sujets étaient d’ordinaire empruntés à la morale pratique ; ils sont de tous les temps, on ne peut pas leur échapper et tous les incidens de la vie les imposent à nos réflexions. De plus, à ce moment, ils étaient d’actualité, comme on dit aujourd’hui. La curiosité des Grecs s’était attachée à les étudier ; ils en avaient donné des solutions nouvelles, et cette nouveauté les avait mis à la mode. Partout où pénétraient les lettres grecques, c’est-à-dire dans tout le monde civilisé, on dévorait les ouvrages des Socratiques où sont agités les problèmes de la vie. Et qu’on ne dise pas que les questions de ce genre, bonnes pour les écoles et les entretiens savans, ne conviennent pas aux conversations mondaines. On discutait chez Scipion sur le souverain bien, sur les conflits de l’intérêt et du devoir, comme on parlait de la grâce efficace ou suffisante à l’hôtel de Rambouillet, ou chez Mme Geoffrin des théories de Montesquieu sur le régime constitutionnel. Je ne vois donc pas de motif pour refuser de croire Cicéron quand il nous dit qu’il a repris dans deux de ses dialogues les sujets que Scipion et ses amis traitaient dans leurs entretiens ; et si ce témoignage est vrai, si nous connaissons d’une manière plus exacte ce qui se faisait, ce qui se disait dans cette société, il nous devient plus facile de nous rendre compte de l’action qu’elle a exercée autour d’elle.

Il ne faudrait pas croire que les réunions comme celle de Scipion, parce qu’elles sont composées de peu de personnes, qu’elles affectent de s’isoler et de vivre à part, passent inaperçues. Il semble au contraire que cette attitude qu’elles prennent attire les yeux sur elles ; plus elles paraissent se dissimuler, plus on