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devant les tribunaux, ils restaient aux champs. C’est donc dans leurs villas des environs de Rome que devaient se rencontrer d’ordinaire les amis de Scipion. Ils s’y réunissaient sans doute dans des repas communs : « C’est là, disait Caton, en faisant allusion à l’étymologie du mot convivium, c’est là qu’on vit véritablement ensemble. » Le plus souvent, suivant la saison, ils se promenaient sous les portiques, ou dans les bosquets à l’ombre des grands arbres ; ils s’asseyaient auprès de la statue d’un sage, au milieu de quelque pelouse ; ou bien encore ils longeaient une rivière, — non pas un de ces petits ruisseaux de fantaisie dont les riches ornaient leurs jardins, où l’on se plaisait à ménager des îles en miniature et des apparences de cascades qu’on appelait pompeusement des cataractes, — mais une rivière véritable, coulant librement dans la campagne, en pleine nature[1]. Ainsi faisait Socrate, que Platon nous dépeint, dans le Phèdre, suivant le cours de l’Ilissus, les pieds nus, dans l’eau, jusqu’au moment où il s’assied sans façon sur la berge, à l’ombre d’un platane, avec ses disciples. Mais les grands seigneurs de Rome sont plus délicats et tiennent à leurs aises : ils se font apporter des coussins[2], et quand ils sont convenablement installés, l’entretien commence.


IV

De ces entretiens, personne assurément ne tenait registre ; cependant, ils ne sont pas tout à fait perdus. Cicéron prétend tenir de Rutilius Rufus, quand il l’alla voir à Smyrne, avec son frère et Atticus, celui dont il a tiré son bel ouvrage de la République. Ailleurs, il affirme que son maître Scævola, qui lui enseigna la jurisprudence, lui a rapporté la conversation de Lselius avec ses amis, qui est devenue le traité de l’Amitié. Il ajoute, il est vrai, que, s’il est parti de ce qu’on lui a raconté, il a traité le sujet à sa façon (meo arbitratu), et je suis bien convaincu qu’il a plus consulté son imagination qu’il n’a reproduit le récit qu’on lui avait fait ; c’est son habitude. Rien pourtant ne nous force à croire qu’il ait tout inventé. Comment Scipion et ses

  1. Tous ces détails sont tirés des préludes des divers dialogues de Cicéron, surtout de celui du second livre des Lois.
  2. De Oratore, I, 7.