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que les premiers ennemis contre lesquels il eut à se défendre lui reprochaient de gâter les pièces de Ménandre et de prendre trop de liberté en les reproduisant. Ils ne voulaient pas qu’on y changeât rien, quand on les imitait. Lui, au contraire, les accuse d’être des délicats, des raffinés, qui poussent trop loin les scrupules littéraires, et qui finissent « par ne plus rien entendre aux choses à force de faire les entendus. » Quand il lui faut choisir des défenseurs, il les prend sans hésiter dans la vieille tradition romaine, il se met sous le patronage de Naevius, de Plaute, d’Ennius, et déclare « qu’il aime mieux ce qu’on appelle leur négligence que la basse régularité de ceux qui l’attaquent[1]. » Lucilius est plus explicite encore, et plus vif. Assurément il s’est mis lui aussi à l’école de la Grèce, mais il n’est pas un écolier timide, et, tout en l’admirant, il prétend la juger. Son respect pour Homère ne l’empêche pas de plaisanter à l’occasion sur Hélène et Pénélope ; quoiqu’il consacre tout un livre dans son œuvre à des questions de grammaire qu’il discute avec gravité, il se moque des avocats qui abusent des divisions et des subdivisions et dont c’est l’unique souci de distribuer artistement les mots dans la phrase ; il raille ces petits-maîtres qui affectent de ne parler qu’en grec ; et malgré son goût sincère pour les philosophes, il n’hésite pas à reconnaître qu’un bon manteau, quand il fait froid, rend plus de services qu’un maître de philosophie. Remarquons que Térence a vécu dans la société de Scipion quand elle était encore toute jeune, et que Lucilius ne l’a fréquentée que dans les dernières années. On en peut conclure que cette société a persisté pendant toute son existence dans les mêmes sentimens ; que, jusqu’à la fin, son culte pour l’art grec s’est préservé de toute superstition ; qu’elle n’a imité les mœurs étrangères qu’à la condition de ne pas compromettre les traditions nationales ; qu’en un mot, en devenant grecque par quelques côtés, elle est toujours au fond restée romaine. Cette modération en toutes choses était l’esprit même de Scipion. Ses amis le savaient bien, et s’ils l’ont fidèlement suivi, c’est qu’ils étaient sûrs qu’il ne les mènerait pas trop loin.

  1. Andria, prologue.