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résistent, et quand il croit avoir affaire à des ennemis qui n’accepteront jamais sa domination, il les traite sans pitié : il a détruit presque en même temps Carthage, Numance et Corinthe. Comme ces paysans sont pressés de rentrer chez eux, et qu’ils ont pour principe de ne faire la paix que quand ils sont victorieux, ils emploient tous les procédés pour vaincre le plus vite possible. Après tout, ces procédés sont ceux dont l’antiquité a usé partout sans scrupule et auxquels les nations modernes n’ont pas tout à fait renoncé. Mais après la victoire leur façon d’agir change. D’ordinaire on ne les suit guère, on ne les étudie, on ne les admire que pendant qu’ils livrent la bataille. On a tort : c’est quand elle est gagnée qu’il importe surtout de les voir à l’œuvre.

Tout d’abord, et dès leurs premières entreprises, nous remarquons que, contrairement aux habitudes des nations antiques, ils ont laissé vivre les peuples qu’ils avaient vaincus. Il est vrai qu’au début au moins ces peuples étaient des Italiens, des frères ; mais on a vu que cette considération n’a pas arrêté les Grecs qui semblaient traiter plus mal leurs ennemis quand ils étaient de leur sang. Non seulement Rome n’a pas exterminé les siens après leur défaite, mais même elle ne les a pas réduits à être des sujets ; elle en a fait des alliés, et ils l’ont aidée à vaincre le monde. Les anciennes inimitiés ont été bientôt oubliées. Dans l’éloge enthousiaste que Virgile a fait des peuples de la vieille Italie, ceux dont il exalte surtout le courage, qu’il appelle une race de héros, « les Marses, les Sabins, le Ligure accoutumé à la peine, le Volsque à la lance pointue, » sont précisément les mêmes qui ont arrêté le plus longtemps la fortune de Rome. Au lieu de se souvenir du mal qu’ils lui ont fait, elle se glorifie de leur valeur dont elle a eu tant à souffrir. Après la conquête de l’Italie, l’expérience était faite ; les Romains avaient trop de bon sens pour n’en pas profiter. Dès lors, ils sont décidés à appliquer partout la méthode qui leur a si bien réussi. Ils feront le moins possible de guerres d’extermination ; impitoyables pendant la lutte, ils seront démens après la victoire. « C’est là, dit Cicéron, le fondement de notre domination ; c’est ce qui a étendu si loin les limites de notre empire[1]. »

La conquête finie, l’œuvre n’était que commencée ; le plus important restait à faire. Ces peuples qu’on venait de soumettre,

  1. Pro Balbo, 13.