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de la patrie[1]. C’était l’idéal de tous les Romains, et le régime nouveau ne fut si favorablement accueilli que parce qu’il promettait de le réaliser. Mais, pour que Rome pût jouir de la paix, il fallait qu’elle commençât par la donner au monde. Elle savait bien que le moindre mouvement qui agiterait l’Empire la forcerait à prendre les armes et troublerait son repos. C’était donc une nécessité pour elle, si elle voulait vivre tranquillement, de procurer d’abord la tranquillité à tous ceux qui vivaient sous sa domination. La tâche était double ; elle avait à les défendre contre l’ennemi du dehors, les Germains, les Scythes, les Parthes, et elle y parvenait sans trop de peine au moyen des légions campées à la frontière, et grâce à l’esprit militaire qui s’y conserva jusqu’à la fin. La paix intérieure était plus difficile à établir et à conserver. Il fallait unir entre elles des populations voisines et ennemies, toujours prêtes à reprendre de vieilles querelles, les faire vivre ensemble, les forcer à se supporter, leur imposer l’habitude de vivre en repos, pacis imponere morem[2]. Virgile a bien raison de la glorifier d’y avoir réussi comme d’une de ses plus belles victoires. On est émerveillé de voir que son succès ait été si rapide et si complet. Rappelons-nous qu’une garnison de 1 200 hommes à Lyon, avec quelques milices municipales, a suffi pendant plusieurs siècles pour assurer la paix des Gaules.

C’est ce qu’on appelle la « paix romaine, » dont le monde a joui sans trop d’interruption presque jusqu’à la fin de l’Empire. A tout prendre, ce fut une des époques les plus heureuses de l’histoire. Quoiqu’il ne soit guère d’usage qu’on soit satisfait de son temps, les gens d’alors paraissent heureux de vivre, et le disent sans détour dans les inscriptions qu’ils nous ont laissées. Sur les monumens qu’ils élèvent, ils célèbrent avec effusion une divinité qu’ils appellent Felicitas temporum, et je ne vois pas de raison de penser que les hommages qu’ils lui rendent, ainsi que les remerciemens qu’ils adressent aux princes auxquels ils croient devoir cette félicité, ne soient pas sincères. En réalité, la victoire de Rome ne leur a rien enlevé qu’ils puissent beaucoup regretter. On a respecté leur religion, on se garde de choquer leurs habitudes, on honore leur passé[3] ; ils conservent leur régime municipal

  1. Horace, Odes, IV, 5.
  2. Virgile, Enéide, VI, 853.
  3. Pline, Lettres, VIII, 24. Cette belle lettre nous montre comment les honnêtes gens voulaient qu’on traitât les provinces.