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présente bien de loin l’aspect général, gai et éclatant, de la ville neuve de toutes les colonies françaises, avec ses maisons européennes de brique et de tôle enveloppées de feuillages, ses toits rouges semblables à des floraisons de flamboyans sous le feuillage transparent des gigantesques légumineuses. Mais c’est la rade surtout qui séduit, large et soyeuse, et toute colorée de ce cosmopolitisme naïf et pacifique qui caractérise l’animation de nos ports français exotiques en contraste avec ceux des Anglais et des Allemands.

Les bateliers somalis y sont plus joyeux qu’à Aden ; sur des barques agiles, des groupes de Sainte-Mariennes, à châles ramagés de rouge et de vert comme des cargaisons de cacatoès, s’immobilisent dans une voluptueuse curiosité, tandis que des piroguiers malgaches et des canotiers créoles s’injurient, en riant, de vocables pittoresques ; ils luttent à se dépasser les uns les autres à travers les boutres arabes arrondis au mouillage sous les mâts inclinés, des boutres verts dorés aux formes de caravelles. Un navire de guerre, svelte et blanc, passe entre deux rafiots noirs des Messageries. Les matelots à l’exercice y évoluent. Le clairon sonne sur mer. Et dans ce paysage scintillant où nos orientalistes auraient la fortune de voir se mêler radieusement, sous une lumière poudroyante, des barques antiques à voiles fauves et de longs steamers écaillés des reflets d’une eau miroitante, le drapeau bleu, blanc et rouge, qui vibre avec force dans l’atmosphère limpide, est la note dominante, la note centrale du panorama maritime.

C’est au coucher de soleil que se révèle l’Antsirane exotique. Sur une terre de safran roux, elle apparaît jaune et verte, couleur d’achards sous les lumières onctueuses des tropiques. Tandis que la ville proche est dans ces colorations bizarres et crues, au loin tout est tendre et fin dans la nature ; le ciel est violet sous des nuances de paille ; les montagnes, de la teinte des graminées, sont si souples qu’elles semblent se déformer à l’œil ainsi que des nuages. Tout est impalpable comme sous une poudre de riz. Il semble que le paysage, que Madagascar s’évapore en poussière, jour à jour, par l’ardeur du soleil pénétrant et torréfiant, sous la ventilation constante par laquelle la grande île est fiévreusement battue douze mois de l’année.

Des quais d’Antsirane l’on a en face de soi Diego, gros rocher plat couvert d’arbres qui se relève aux extrémités en deux cornes