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dos en salutation devant son passage, Andriana le Désiré distribuait des cadeaux, un pot de miel, un chapeau rouge, un lamba ; Du haut du rocher d’Andohalo d’où il surgissait « comme un taureau sur la plaine, » il parlait à la foule : « Bravo ! vos femmes et vos enfans n’auront pas le ventre vide ! Il n’y a rien de tel que d’être plein ! » Et il célébrait avec force la santé : « Je suis heureux de vous voir luisans et gras, bien ronds et bien pleins, ronds et forts. » C’était alors qu’il sentait que la plaine de l’Ikopa était vraiment, dans sa fécondité, « le Ventre de l’Imerina, » et que sa royauté, s’élevant puissante et pleine sur l’étendue de la terre malgache, était vraiment la « Bosse du Bœuf. »

Il jouit physiquement de cette domination qu’on tient à l’ordinaire pour le privilège moral des souverains : du haut du Rova, il domina son peuple sur une immense superficie ; il put le voir au travail jusqu’aux horizons, semé en mille petites taches blanches sur les rizières qui reflètent la lumière bleue du ciel ; il put contempler au-dessous de lui la paix et le bonheur de l’Émyrne. Il aima se sentir « le Père des Merinas, » se dire qu’il rendait « son peuple heureux, » et qu’il était le « Désiré de I’Emyrne ; » après la loi du travail, il lui avait donné la loi d’amour. Disant : « Un arbre seul ne fait pas la forêt… Un homme seul ne peut pas bâtir un tombeau, » il avait ordonné que pauvres et riches s’associassent pour aider celui qui élève sa maison ou construit un tombeau, que le riche laissât l’indigent jouir de sa maison et de son riz, que toute inimitié disparût devant la mort. Au bas du Rova, sous des toits en bambou vivaient dans la tranquillité ses tribus d’esclaves, les descendans des Vazimbas crépus qui avaient cédé à l’audace et à l’ingéniosité des Merinas la richesse des terres. Il savait respecter et admirer en eux le legs du temps : « Ils sont à la fois héritage et conquête ; ils sont comme des bijoux qui vous viennent des ancêtres, comme un lamba épais qui protège contre le froid et la gelée ; quand il fait chaud, ils sont comme une couche moelleuse sur laquelle on goûte le repos ; ils sont un ornement et une gloire. »

Ce qui l’empêcha toujours de se griser de sa grandeur et de se pervertir en ces caprices tyranniques et cruels où ses descendans trouvèrent l’impopularité et la mort, ce fut la merveilleuse conscience qu’il garda de la mission du roi : la royauté est un héritage laissé par une vénérable série d’ancêtres qui se confondent dans le lointain des temps avec des dieux sévères et