resta en chemin. Les grands faiseurs de systèmes sont à leur insu des imaginatifs, des poètes ; chez Brunetière, l’esprit de finesse et l’esprit de géométrie s’équilibraient exactement ; il était trop clairvoyant, trop probe vis-à-vis de lui-même, pour continuer de bâtir avec des matériaux peu sûrs. Il aperçut bientôt la faiblesse de son premier principe, l’impossibilité d’en faire un support pour l’énorme construction qu’il projetait. Il s’en détourna, chercha dans d’autres directions ; non sans revenir de loin en loin à ses premières amours, comme dans cette étude récente et un peu paradoxale sur la Moralité de la doctrine évolutive.
Un temps, il crut qu’Auguste Comte lui donnerait ce qu’il n’avait pu tirer de Darwin. Séduction nouvelle, et qui montre bien comment ce contradicteur du genre humain subissait l’influence des idées ambiantes, avant de se les approprier despotiquement, de les consolider, de s’en servir pour discipliner les esprits qui les lui avaient offertes à l’état flottant. De cette incursion dans le comtisme sortirent l’Utilisation du positivisme et les études similaires. C’était la voie oblique qui l’amenait au but.
De plus en plus blessé dans son amour de l’ordre par l’anarchie croissante dans les idées et dans les faits, il se rapprocha de l’édifice catholique. On le vit d’abord rôder, si je puis dire, autour de la cathédrale, examiner et louer en connaisseur la belle architecture du vaisseau, les commodités qu’il offrait aux foules sans abri. C’était le temps où nous rêvions tous de réconciliation sociale, à la lueur du phare allumé devant nous par le pape Léon XIII. Relisez Une visite au Vatican : Brunetière trouva là un grand esprit de sa famille, qui le comprit et l’aima. N’était-il pas l’un des rares laïques contemporains qui eussent lu la Somme de saint Thomas, le seul capable de récrire cette Somme pour notre âge ? Il sortit du Vatican à demi conquis Peu après, il se risqua dans la cathédrale ; d’un pas lent et loyal, tâtant le terrain, se donnant sur un point, se reprenant sur un autre, il avança jusqu’à l’autel. Au soir d’une journée triomphale pour l’orateur et décisive pour l’homme intérieur, comme il parlait au banquet qui suivit la conférence de Besançon sur le Besoin de croire, il dit : « Je me laisse faire par la vérité.. . » Belle parole qui fut la devise de toute sa vie et devrait être l’épitaphe gravée sur son tombeau. Depuis lors, dans ces « discours de combat » prononcés à Besançon, à Lille, un peu