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L’ouvrage qui succède à cet écrit, et qui est postérieur de trois ans, nous fera pénétrer plus avant dans le caractère d’Hérault de Séchelles. Durant l’été de 1788, Hérault donna l’hospitalité, au château d’Épone, à un étrange personnage qui jouissait alors de quelque célébrité dans les cénacles littéraires. Antoine de Lassalle avait conçu au cours de ses voyages une ingénieuse théorie qui reposait sur le système des compensations. Il voulait prouver que l’univers était un immense pendule qui oscillait entre deux infinis. « Tout oscille, disait-il ; tout balance, tout est alternativement vainqueur et vaincu… Notre âme est une rude escarpolette menée par deux nègres vigoureux. » La théorie était exposée dans un livre intitulé : La Balance naturelle, ou Essai sur une loi universelle appliquée aux sciences, arts et métiers et aux moindres détails de la vie commune. — Le livre était dédié à Hérault de Séchelles, l’homme harmonieusement balancé, en qui Lassalle avait trouvé « l’emblème vivant » de son ouvrage. Les idées matérialistes dont était rempli ce traité donnèrent lieu à de nombreuses discussions qui retentirent sous les voûtes du château d’Épone. L’avocat Bellart rapporte qu’Hérault, Ysabeau son secrétaire et Lassalle tenaient des propositions « à faire dresser les cheveux sur la tête… Le maître de la maison se reposait des impiétés avec des obscénités. » Bellart constate qu’Hérault était « matérialiste au plus haut degré ; » il quitta précipitamment le château, y ayant fait une découverte qui le choqua fort : M. Dard nous laisse malicieusement entendre qu’il s’agissait d’intrigues amoureuses au dénouement trop rapide.

Quoi qu’il en soit, c’est au sortir de ces discussions qu’Hérault rédigea un petit cahier qui fut imprimé dans les dernières semaines de l’année 1788. Le Codicille politique et pratique d’un jeune habitant d’Épone est un recueil de pensées qui traite de l’art de parvenir et du culte du moi. L’art de parvenir consistera à bien observer et à calculer exactement : Qui bene définit et dividit tanquam Deus. Mais pour atteindre le but, il ne faudra pas craindre de s’affranchir des préjugés et des lois. Le cynisme qui perçait dans cet écrit effraya la famille, de l’auteur ; l’avocat général, soucieux encore de sa réputation consentit à ce que l’édition fût anéantie avant que le public n’ait eu le temps de crier au scandale. La date où l’opuscule fut composé en constitue l’intérêt : le Codicille nous renseigne sur les méditations du jeune patricien quelques mois avant la chute de l’ancien régime. L’ouvrage n’est pas autre chose qu’une « Théorie de l’ambition, » et c’est même sous ce titre qu’il fut réimprimé, — d’une manière très