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voulait la forcer à contracter. On eût dit que j’écrivais à une victime qui avait imploré mon secours, et à une personne qui avait pour moi toute la passion que je croyais ressentir pour elle : et dans le fait, toutes mes épîtres chevaleresques étaient adressées à une petite personne très raisonnable qui ne m’aimait pas du tout, qui n’avait aucune répugnance pour l’homme qu’on lui avait proposé, et qui ne m’avait donné ni l’occasion ni le droit de lui écrire de la sorte. Mais j’avais enfilé cette route et pour le diable je n’en voulais pas sortir. Ce qu’il y avait de plus inexplicable c’est que, lorsque je voyais Mlle Pourras, je ne lui disais pas un mot qui eût du rapport avec mes lettres. Sa mère me laissait toujours seul avec elle, malgré mes extravagantes propositions dont sûrement elle avait connaissance, et c’est ce qui me confirme dans l’idée que j’aurais pu encore réussir. Mais, loin de profiter de ces occasions, je devenais, dès que je me trouvais seul avec Mlle Pourras, d’une timidité extrême. Je ne lui parlais que de choses insignifiantes et je ne faisais pas même une allusion aux lettres que je lui écrivais chaque jour, ni au sentiment qui me dictait ces lettres. Enfin, une circonstance dans laquelle je n’étais pour rien, amena une crise qui termina tout. Mme Pourras, qui avait été galante toute sa vie, avait encore un amant en titre. Depuis que je lui avais demandé sa fille, elle avait continué à me traiter avec amitié, avait toujours paru ignorer mon absurde correspondance et, pendant que j’écrivais tous les jours à la fille pour lui proposer de l’enlever, je prenais la mère pour confidente de mon sentiment et de mon malheur : le tout, je dois le dire, sans aucune réflexion et sans la moindre mauvaise foi. Mais j’avais enfilé cette route avec l’une et avec l’autre. J’avais donc avec Mme Pourras de longues conversations, tête à tête. Son amant en prit ombrage. Il y eut des scènes violentes, et Mme Pourras qui, ayant près de cinquante ans, ne voulait pas perdre cet amant qui pouvait être le dernier, résolut de le rassurer. Je ne me doutais de rien et j’étais un jour à faire à Mme Pourras mes lamentations habituelles, lorsque M. de Sainte-Croix, — c’était le nom de l’amant, — parut tout à coup et montra beaucoup d’humeur. Mme Pourras me prit par la main, me mena vers lui, et me demanda de lui déclarer solennellement si ce n’était pas de sa fille que j’étais amoureux, si ce n’était pas sa fille que j’avais demandée en mariage, et si elle n’était pas tout à fait étrangère à mes assiduités dans sa maison. Elle n’avait