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digne de toi, mon cher père. Tu seras toujours content de nous, tes fils. Je sais que mon frère est en Italie, Dieu veuille qu’il aille te rejoindre pour que vous puissiez ensemble vous entretenir de nous, de la France.

Je te connais assez, pour savoir que tu ne te laisseras pas abattre.

Depuis que la guerre est déclarée à l’Autriche, il y a dans ma promotion une fermentation inouïe. Peut-être allons-nous avoir aussi la guerre avec l’Angleterre[1], ce qui serait une bonne affaire ; pour nous marins, il y aurait du tirage, mais je crois que nous en sortirions vainqueurs. Tu me verras à l’œuvre.

Écris-moi, mon père. Dis-moi tes chagrins, ton espoir, — raconte-moi vos batailles, dépeins-moi vos projets, vos marches, vos succès.

Courage, espoir, force. La fin viendra bientôt, et la victoire aussi. Nous nous retrouverons tous les cinq et, racontant à ma mère, à ma sœur nos périls, nos souffrances, nous les verrons heureuses de notre retour, peut-être fières de notre gloire.

Après la lecture de ces lettres, nous avions quelques heures relativement heureuses, moi du moins. Je le répète, nous n’étions qu’au début de la campagne, et ma confiance en Dieu était absolue : j’attendais tout de Lui. Un mot fier et patriotique m’enlevait à des sommets d’espérance incroyable que la première rencontre sur le champ de bataille devait bientôt renverser.


Borda. — Brest, 18 mai 1859.

Mon cher père,

Ma sœur m’apprend que notre bien-aimé Jean est auprès de toi, elle me dit tout le bonheur que vous avez goûté en vous retrouvant.

Tu vois, mon excellent et cher père, que Dieu a écouté nos prières, puisqu’il a déjà soulagé ton cœur en te rendant un de tes fils, avec qui tu puisses parler des tiens et de ta patrie, quelqu’un qui te comprend et qui a les mêmes affections que toi.

Je souffre de mon inaction ; j’appelle les années, le danger, afin que tu saches, mon père, que je marche sur tes traces.

  1. Il se souvenait probablement des bruits qui s’étaient répandus en 1858.