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Disparu peut-être. Qui ne sait cela dans le désordre qui suit une bataille ? Son cœur s’obstinait malgré tout, malgré la lettre suivante écrite par son lieutenant-colonel et qui ne laissait plus d’espoir :

Paris, Val-de-Grâce, 29 août 1859.


Mon cher ami,

J’ai souffert si atrocement que je n’ai pas pu jusqu’ici vous écrire. Votre fils est mort à la tête de sa compagnie, comme savent mourir les braves. Avec quel courage, quel entrain il a rempli son devoir !

Dès le premier moment il a inspiré à ses hommes une confiance solide qui ne s’est pas démentie jusqu’au moment où il est tombé pour ne plus se relever.

Par sa belle conduite pendant l’action, Le Brieux s’était acquis des droits incontestables à la décoration de la Légion d’honneur.

Il n’y avait que quelques momens que je venais de le lui dire devant tous, lorsqu’il a été frappé.

Votre fils n’a pas souffert. Vous l’avez bien pleuré, c’était justice, car c’était un excellent cœur, une intelligence forte, un officier de valeur et d’avenir.

Croyez…


Et nous restions silencieux, plus désolés. « Est-il vraiment mort ainsi, sans souffrir ? si l’on me trompait, disait ma mère, je veux savoir. »

Alors nous allons à Bourges où était son régiment ; elle arrêtait les soldats. « Ah ! ce petit lion, qu’il était brave et fier ! disait l’un. — Il nous enlevait, ajoutait un autre. — Est-il tombé deux fois frappé ? Et ils répondaient : — Oui. — « Ils essaient de me tromper, ils m’ont reconnue pour sa mère. Va leur parler, » me suggéra-t-elle. — Et j’allais leur parler. » — Il est mort tout de suite, frappé ici, » — disait un caporal en touchant son front. Un sergent parlait d’une balle au cœur, et nos cœurs de plus en plus déchirés se fermaient à toute consolation. Nous y pensions toujours, et dans le dur présent et dans le passé heureux. Je le vois encore lorsqu’il sortit de Saint-Cyr, pimpant dans son uniforme qu’il portait avec la crânerie de ses dix-neuf ans, et ensuite à Marseille, s’embarquant pour l’Afrique, libre, heureux. Qui m’aurait dit alors que cette Méditerranée, si belle sous les ardeurs du ciel de Provence, cette mer bleue qui l’emportait si loin de nous ne le ramènerait jamais !