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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/306

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transports de sa quinzième année, il avait si ardemment désiré. Je l’en vis souffrir mais aussi se maîtriser :


Au revoir, maman, ne pleure pas ainsi, et embrasse-moi sans chagrin. Tu le sais, j’ai mon étoile, elle me ramènera au jour joyeux du retour, pensons-y et ne soyez pas toujours dans les larmes, je vous en conjure, elles pourraient me gagner, ce que tu ne voudrais pas, mère.

Au colonel de Gouyon de Beaucorps.

Mon cher ami,

Le départ de mon fils date d’hier et me voilà de nouveau dans le chagrin. Qui m’aurait dit que nous éveillions en lui cette vocation lorsque autrefois, vous et moi, à Lorient, l’emportions sur notre dos dans la mer ?

Je le sais, ce qui m’appartient appartient à la France. Je lui donne tout, jusqu’à mes enfans. Je trouve cela dur.

Encore brisé de mes blessures (celle de mon bras droit inguérissable), je n’ai pu rembarquer moi-même.

Le reverrai-je ? et, s’il revient, reviendra-t-il indemne de cette première rencontre avec la vie ? Conservera-t-il cette absolue droiture, cet attrait original dont sa mère est si fière ?

Que Dieu le protège et le garde tel, et que sa divine bonté, — j’allais dire sa justice, — nous le ramène un jour.

Je compte sur votre jeune ami pour le guider, l’éclairer, le préserver. Nous sommes heureux de le confier à des mains aussi loyales[1].


On le voit, mon père ne vivait que de la patrie et de la famille. N’aime-t-on pas mieux, — ou plus encore, — à mesure qu’on sacrifie davantage ? Aussi ce culte de la France se retrouvait-il en lui d’autant plus fort qu’il lui abandonnait son enfant.

  1. M. de K…, sans être officier de marine, fut chargé d’une fonction du gouvernement et sur le vaisseau qui le transportait il vivait avec l’état-major, dans le même esprit de camaraderie.