Écrivez-moi souvent. Pour bien faire il faut que je sois heureux et mon bonheur est en vous.
Le même courrier nous apportait une lettre de son commandant, dont voici les dernières lignes :
Ainsi disposé à se bien conduire, ferme et résolu, il arrivera de bonne heure. On peut beaucoup attendre de son intelligence, de son sens du devoir. Je me connais en hommes. Celui-ci est solide, j’en réponds.
Il n’a qu’à se montrer, — disait sa mère, — pour se rendre sympathique.
Jusqu’ici, elle supportait bien l’éloignement de son fils ; mais quelles seraient ses pensées au moment du départ ? Ainsi que les marins au début de leur carrière, notre futur amiral attendait ce jour, rêvait à « l’aurore de sa destinée, » comme s’il devait se plaire dans l’exil ou s’y accoutumer.
Le 9 novembre, à midi seulement, nous avons appris que nous partions le soir même, à trois heures. Tous nous nous attendions à cette nouvelle ; cependant elle a produit sur moi un étrange effet.
Je ne pouvais me faire à cette idée que, dans trois heures, j’allais quitter mon beau pays. Je ne sais quel serrement de cœur se fit en moi sitôt que je vis qu’il fallait m’éloigner de cette chère France, où je laissais ma famille qui m’a témoigné tant d’amour intelligent, tant de soins dévoués, et où j’ai travaillé pour me faire ce que je suis.
Ce que je vous raconte là vous paraît probablement un peu niais et vous vous dites, peut-être, que je ne fais que répéter ce qui se trouve dans tous les livres de marine. Mais si vous aviez, comme moi, abandonné la France et les vôtres, vous verriez, vous sentiriez par vous-mêmes ce que j’éprouve.
Ayant terminé les derniers préparatifs, je me rendis à la cale. C’est là que je ressentis les plus fortes émotions. Je voyais arriver les officiers de la Renommée, jusqu’à des matelots ayant leur famille avec eux ; qu’ils étaient heureux !…
Quant à moi, je n’avais qu’une chose à embrasser, c’était la terre. Je l’ai embrassée. Je n’ai pas regardé si on me voyait.