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voulant pas me laisser pincer par le mal de mer, je montai sur le gaillard d’avant pour respirer à pleine poitrine.

Souvent des paquets de mer embarquaient par-dessus le bord. Le roulis était très fort et il m’est arrivé plus d’une fois de rouler jusqu’à ce que le parapet m’arrêtât. L’homme qui était en vigie à mes côtés ne voulut pas se tenir debout comme moi, et une demi-heure après que j’eus quitté mon quart, ce malheureux, assis sur les bastingages, tomba à la renverse ! On vira de bord aussitôt, des bouées de sauvetage furent jetées, mais la nuit était noire ; cependant le vent faiblit.


Il n’en dit pas davantage. Voici ce qu’un lieutenant de vaisseau, — M. Regrény, je crois, — écrivit :


Le danger était trop grand encore pour que le commandant crût, pouvoir donner des ordres. Donc, chacun était libre.

Notre aspirant se jeta dans une embarcation et, par son exemple téméraire, entraîna deux matelots. « Nage, nage, garçons ! » et ils ramaient ferme, les braves garçons, enlevés par leur officier. Haletant, celui-ci les excite, et leur regard, — à tous trois, — trompé par une fausse apparence, restait attaché sur le point qu’ils cherchaient à atteindre. « Courage, courage, criait le sauveteur, nous arrivons ! » Sa voix s’étranglait. Beau de sa volonté, il se jette à l’eau, s’élance vers l’infortuné qu’il croit étreindre. Il n’étreignit que le vide, une épave seule surnageait… Ainsi restaient infructueux ses périlleux efforts, le matelot avait à jamais disparu.


On tient moins à l’existence, — écrivait mon frère quelques jours après, — lorsqu’on la voit inutile aux autres. Quel début dans ma carrière ! A quelque distance, un être en péril, et je n’ai pu le sauver ! Qu’était-il ? un inférieur soit, mais un homme. L’équipage et nous, ne sommes-nous pas solidaires ? et nous ne pouvons pas abandonner nos matelots. Moi son officier, n’avoir pu l’arracher à une semblable mort ! Quelle fatalité si réelle, si frappante ! Je ne m’en consolerai jamais.


Il ne connaissait pas assez la vie pour savoir qu’on se console de bien des choses !…


Il faut, — lui répondit son père, — devenir plus fort que le