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Dès l’année 1892, il s’était enrôlé parmi les réformateurs qui voulaient, au cœur de la mêlée sociale, répercuter et développer la parole de Léon XIII. Il s’en était allé, tout de suite, dans sa ville natale d’Arlon, pour faire ses premières déclarations. C’est sous les tilleuls d’Arlon qu’au XVIIe siècle étaient éclos les rêves sociaux du bon savetier Henri Busch, fondateur, dans notre Paris, de l’Institut des « frères cordonniers » et des frères « tailleurs…[1]. » M. Godefroid Kurth aimait à se rappeler cet exemple de véritable démocratie, lorsqu’il exposait à son tour les revendications d’aujourd’hui. Il les formulait en ces termes :


Dans l’ordre économique : réorganisation des forces du travail au moyen de corporations appropriées aux besoins de la société moderne, et qui permettront à la classe ouvrière de débattre librement avec les patrons les conditions du contrat de travail en dehors de toute intervention de l’État.

Dans l’ordre politique : réorganisation de la société politique sur la base d’une réforme qui assurerait à la classe ouvrière sa légitime part d’influence dans les affaires publiques, au moyen de la représentation des intérêts[2].


Ce programme fut le premier acte par lequel M. Godefroid Kurth se rangea dans le parti belge de la « démocratie chrétienne. » Trois mois après, passant de la théorie à l’action, il annonçait sa collaboration au journal liégeois Le Bien du Peuple, dans une lettre où l’on discernait très clairement comment la poussée même de toutes ses expériences d’historien jetait M. Kurth dans les meetings populaires.

« Que la classe ouvrière, écrivait-il au chanoine Pottier, puisse être, dans une nation civilisée, un organisme influent et respecté, jouissant de ses droits propres et sachant à l’occasion les défendre : c’est ce que démontre à suffisance l’histoire de notre régime communal au moyen âge. Pourquoi, sous une forme appropriée aux besoins d’une société plus vaste et plus complexe, ne redeviendrait-elle pas au XXe siècle ce qu’elle était dès le XIIIe ? Pourquoi, au souffle créateur de l’esprit catholique, les innombrables atomes populaires qui tourbillonnent aujourd’hui dans le vide ne se reconstitueraient-ils pas en un corps organisé et vivant, assez fort pour ne pas devoir le respect de ses droits primordiaux à la charité d’un patron ou à l’humanité de quelque société anonyme[3] ? »

  1. Kurth, Deutsch-Belgien, II, p. 97 (Arlon, Willems, 1900).
  2. Le Luxembourg, 5 novembre 1892.
  3. Le Bien du peuple, 22 janvier 1893.