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Ce n’est point ici le lieu de redire quel aspect offrit, entre 1S93 et 1898, la chrétienté liégeoise, avec quelle impétuosité d’allure la « démocratie chrétienne » marchait à la conquête du peuple, et comment, de toutes parts, des inquiétudes la cernaient. M. Kurth promenait parmi les mineurs, parmi les armuriers et autres gens de métier, une sorte d’université populaire ; il s’en allait sur les estrades faubouriennes, célébrant le temps où les pauvres du Christ étaient grandis et défendus par les enseignemens sociaux de l’Évangile. La « démocratie chrétienne » se présentait aux suffrages populaires, pour ramener ces anciens temps. Elle parlait d’un retour au Christ, aux revendications de justice que l’Evangile inspire, aux corporations que pendant des siècles l’Église avait bénies. Où tendaient ces propos, dans la « libérale » ville de Liège ? Présageaient-ils une réaction, ou bien une révolution ? Les intérêts alarmés crièrent à la révolution. M. Kurth vécut alors quelques années d’une vie intense, tourmentée, bientôt endolorie ; dans certaines bagarres électorales, la colère lui arracha des invectives restées légendaires ; et puis là « démocratie chrétienne » liégeoise s’effaça, ni victorieuse ni vaincue ; elle dut concéder à des raisons d’ordre le sacrifice de ses traits les plus accusés, de ses formules les plus abruptes ; dans la chrétienté liégeoise, l’ordre recommença de régner…

M. Kurth, alors, s’en fut prêcher son « christianisme social » dans les congrès eucharistiques. Lorsqu’il y proclame que « le sanctuaire de Jésus-Christ doit être toujours le palais du peuple[1], » ou lorsqu’il y célèbre le banc de communion comme « le trône de l’égalité humaine[2], » on sent passer dans sa voix le frémissement du tribun, qui, dans les tavernes liégeoises, par sa seule apparition, disculpait l’Église romaine d’être la citadelle des privilégiés. Son auditoire, alors, était tout le peuple de Liège, et les susceptibilités politiques s’insurgeaient. Elles ont aujourd’hui désarmé, et peu leur importe que les congressistes applaudissent, puisque le peuple n’entend plus.

Mais la pensée de M. Godefroid Kurth s’en va toujours au peuple : il l’affirmait, avec une émotion solennelle, dans la fête qui lui fut offerte il y a quelques mois. « Y a-t-il dans l’Eglise

  1. Kurth, L’Eucharistie et l’Art chrétien, p. 12 (Bruxelles, impr. de Durendal, 1898).
  2. Kurth, L’Eucharistie et la civilisation (Revue apologétique, 16 juillet 1905, p. 158).