Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/421

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’un après l’autre des « confiseries » de sardines. Jusqu’en 1870 cependant, le nombre de ces établissemens n’excéda pas trente ou quarante pour l’ensemble du littoral : le nombre des barques employées à la pêche sardinière était lui-même en rapport avec ces commencemens modestes d’une industrie qui devait prendre un subit développement entre 1888 et 1901. Du coup aussi, les barques triplèrent ; la population maritime, insuffisante, fit appel aux recrues de l’intérieur. À Concarneau, en temps de pêche, la moitié des équipages, jusqu’à la crise dernière, était composée de journaliers agricoles qui retournaient aux champs, la saison finie ; l’hinterland de Crozon dirigeait chaque année sur Douarnenez un millier de volontaires, qu’on appelait les « hirondelles crozonnaises, » parce que leurs migrations coïncidaient avec celles de ces oiseaux. Sur nombre de points cependant (Camaret, Audierne, Penmarc’h, Concarneau, etc.), l’émigration se faisait sans esprit de retour, et c’est ainsi encore que Tréboul, Le Guilvinec, simples hameaux la veille, devenaient des centres de pêche importans. À lui seul, entre 1870 et 1901, l’arrondissement de Quimper, en très grande partie maritime, voyait sa population passer de 130 000 à 194 000 unités.

On ne prit point garde, dans les débuts, aux dangers de cette sorte de rush, de poussée fiévreuse des champs vers la mer : la pêche était abondante ; il y avait « du poisson pour tout le monde, » et, si intensive que fût l’émigration, il restait encore à l’agriculture plus de bras qu’elle n’en pouvait employer. La fragilité du raisonnement ne se décela que plus tard et quand l’émigration, la multiplication des usines eurent insensiblement fait leur œuvre et modifié profondément le régime quasi patriarcal de l’ancienne industrie sardinière. Comme l’a très bien vu M. Auguste Dupouy, « où quelques centaines de milliers de sardines alimentaient facilement, jour par jour, une demi-douzaine d’usines, il en faut maintenant des millions ; où le chômage n’atteignait que peu de familles, il sévit sur des villes entières ; il faut, — beaucoup plus qu’autrefois, — pour nourrir une population très dense, pour alimenter les usines nouvelles, que la pêche soit générale, régulière, ininterrompue. » Enfin la concurrence étrangère, aux aguets et toujours prête à tirer parti des moindres fléchissemens de la production indigène, est venue compliquer encore le problème. Tant que nos industriels monopolisaient la fabrication et la vente des conserves de sardines,