Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/422

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ils pouvaient sans danger, si la rogue était chère, rare le poisson, surélever leurs prix en conséquence. Cette faculté précieuse leur a été ôtée et, dans les années de crise, il leur faut vendre à perte pour ne point s’aliéner une clientèle que circonvient de plus en plus la concurrence étrangère. Les États-Unis, par exemple, qui fondaient en 1875, à Eastport, leur première confiserie de sardines à la moutarde, en possèdent aujourd’hui une soixantaine, produisant environ 1 500 000 boîtes par an. Ces conserves barbares flattent agréablement les palais transatlantiques ; mais les établissemens de la baie Passamaquoddy fabriquent aussi pour l’exportation des conserves dites à l’huile d’olive, dont beaucoup sont vendues sous étiquette française : « Paul, à Nantes, » « Pierre, à Bordeaux, » etc. Or, l’huile de coton et le lard fondu y remplacent trop souvent l’huile d’olive annoncée sur la boîte ; et, pareillement, les sardines y sont souvent subrogées par des sprats. Il n’en faut pas moins compter avec la concurrence américaine, comme il faudra compter quelque jour, sur les marchés extérieurs, avec les sardines japonaises et norvégiennes, dont plusieurs marques figuraient honorablement à la dernière Exposition de Liège ; peut-être même avec les sardines hindoues[1] et marocaines dont la pêche est très active déjà et le deviendra bien davantage quand la sardine confite se sera substituée dans les ports du Maghreb et du Malabar à la sardine fraîche ou pressée. Mais le grand danger qui menace notre industrie nationale, il est à nos portes et, par surcroît de malechance, c’est nous qui l’avons créé.

En 1879 ou 1880, des Grésillons (pêcheurs de Groix), surpris par une tempête, durent « chasser » devant le temps jusque sur les côtes du Portugal et y relâcher. À leur grand étonnement, ils virent qu’on y péchait à l’ide de madragues et de cercles, presque en tout temps et en quantités prodigieuses, des sardines qui ressemblaient fort aux sardines des côtes bretonnes. Ils en achetèrent à vil prix un plein chargement et racontèrent en Bretagne qu’ils avaient fait cette pêche miraculeuse

  1. Une usine française pour les conserves de sardines fut fondée, il y a quelques années, à Mahé par M. Amieux, et la direction de cette usine confiée à un Breton, M. de la Haye-Jousselin. Mais, transités à Bombay, faute de ligne de navigation directe entre les Indes françaises et la métropole, les produits de cette usine étaient frappés à l’importation de droits de douane excessifs : l’usine fut fermée.