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voilà, la solution rêvée, idéale ! Pas encore. La grande senne Belot coûte très cher, près de 1 000 francs. Elle requiert la collaboration de trois fortes chaloupes ; enfin, il est vrai qu’elle prend beaucoup de poisson, mais elle en prend trop, justement : tassées, écrasées, les sardines ne sont plus « marchandes » au sortir du filet. On conçoit donc, à la rigueur, que la grande senne Belot ait été interdite : nos pêcheurs lui voulaient mal de mort et n’ont eu de cesse qu’ils n’aient obtenu sa condamnation officielle.

Le malheur est qu’ils ont exigé et obtenu en même temps la condamnation de la petite senne Belot, du filet Eyraud, du filet Guézennec et du filet tournant qui, de dimensions beaucoup plus restreintes, avaient toutes les qualités de la grande senne Belot sans présenter aucun de ses inconvéniens. L’emploi de ces engins, à la requête pressante des pêcheurs, n’en fut par moins défendu dans la baie de Douarnenez par décret du 10 octobre 1878. Ce décret ne visait qu’une portion très limitée du littoral. Aussi, à la fin de l’année 1881, trois pêcheurs de Penmarc’h, « lassés de ne rien prendre, » et se souvenant des pêches abondantes qu’on obtenait de 1874 à 1878 avec les petites sennes Belot, cousirent leurs filets les uns aux autres et obtinrent par cet ingénieux procédé des sennes improvisées qui firent tout de suite merveille. À cette nouvelle, dit M. Le Gall, voilà la fièvre qui « s’empare des autres pêcheurs de Penmarc’h et de Saint-Guénolé : ils courent à Douarnenez et enchérissent à tel point sur les vieilles sennes des pêcheurs de cette ville qu’ils en arrivent à payer des 800 et des 900 francs des engins sans grande valeur, dont le fil était presque pourri. Ils font, néanmoins, une excellente opération commerciale[1]. » De fait, les ports de Saint-Guénolé et de Penmarc’h furent les seuls du littoral breton qui échappèrent à la crise sardinière de 1881 et 1882. Gros émoi chez les pêcheurs des ports voisins, touchés dans leur amour-propre plus encore que dans leurs intérêts : ils crièrent au privilège, et l’interdiction édictée pour la baie de Douarnenez fut étendue au quartier d’Audierne, puis peu à peu au reste du littoral. L’Union des fabricans essaya vainement de ramener les pouvoirs publics à une plus équitable appréciation des choses. Tout ce qu’elle obtint fut la nomination d’une commission d’enquête composée de MM. Vaillant, professeur au Muséum, Fabre-Domergue, inspecteur des

  1. Cf. Th. Le Gall, l’Industrie de la pêche dans les ports sardiniers bretons. Rennes, 1904.