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railler les graves personnages et de rabaisser les superbes colosses de l’antiquité. Caton d’Utique, à l’instant de se tuer, donne à un esclave un coup de poing qui lui casse les dents ; « voilà un coup de poing qui gâte bien cette mort philosophique !… » Et la mort de Lucrèce en eût valu mille fois davantage, si la farouche Romaine n’eût pas attendu les derniers efforts de Tarquin. Par-dessus tout, Cydias-Fontenelle s’amuse aux rapprochemens inattendus et déconcertans : il met en présence Auguste et Pierre Arétin, Alexandre et Phryné : « Vous vous savez donc bon gré d’avoir eu bien des galanteries ? — Et vous, vous êtes fort satisfait d’avoir désolé la meilleure partie de l’univers ? » L’important est d’étonner, d’inquiéter par le paradoxe, et de chagriner les admirations consacrées. Jadis toute opinion nouvelle, avant d’être acceptée, devait faire ses preuves : désormais ce qui recommande le plus sûrement une opinion et nous dispose tout de suite en sa faveur, c’en est la nouveauté.

Or quelle était la grande nouveauté du jour ? C’était l’engouement dont la société polie venait de se prendre pour les sciences. Au lendemain des merveilleuses découvertes opérées dans la première moitié du siècle, la science commençait à sortir des laboratoires et des cabinets de travail. Rien n’est plus curieux et plus amusant que le tableau de ce tout Paris de la fin du XVIIe siècle affolé d’une sorte de « snobisme » pour la science ; et c’est Fontenelle même qui nous en fournit les élémens. On se réunit ici et là, chez les savans en renom ; ni l’incommodité du local, ni la rudesse de l’enseignement ne décourage les néophytes des deux sexes. On va à la leçon de chimie plus dévotement qu’au sermon, et on reçoit la vérité géométrique ou médicale comme un évangile. C’est une initiation, et c’est une croisade. « Il y avait alors des conférences chez divers particuliers. Ceux qui avaient le goût des véritables sciences s’y assemblaient par petites troupes, comme des espèces de rebelles qui conspiraient contre l’ignorance et les préjugés dominans. Telles étaient les assemblées de M. Bourde-lot, médecin de M. le Prince, le grand Condé, et celles de M. Justel[1]. » Il y en a pour toutes les aptitudes et pour tous les goûts. Aimez-vous la physique ? Vous avez les conférences de Régis. Préférez-vous la géométrie ? Vous avez le cours de Sauveur. La chimie a son public, et c’est, pour une bonne part, un public de dames. Lémery vient d’ouvrir un cours, rue Galande. « Son laboratoire était moins une chambre qu’une cave, et presque un antre magique éclairé de la seule

  1. Fontenelle, Éloge de Lémery.