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Fouché, ministre de la Police générale, fit plus ; il imagina un moyen de tourner, d’éluder l’arrêté consulaire sur les prêtres, et d’en restreindre la portée pratique. Par une interprétation outrageusement arbitraire, il prétendit qu’aucun prêtre ne pouvait être admis à signer la promesse et à se mettre en règle avec la loi s’il n’avait prêté dans le temps tous les sermens exigés. La promesse ne tiendrait pas lieu des anciens sermens, elle devrait se surajouter à eux ; ce serait un engagement non substitué, mais superposé aux autres. Des instructions furent données dans ce sens par le ministère de la Police. Le dessein de Fouché était clair et ressort d’ailleurs de divers témoignages : c’était de réserver aux seuls constitutionnels, aux jureurs, le bénéfice du libéralisme consulaire, bien que la Constitution civile du clergé fût dépourvue depuis 93 de toute existence légale. Plus intelligent que les maniaques d’irréligion, plus perfide, Fouché admettait qu’il se reformât en France une Église, mais il la voulait schismatique et détachée de Rome, inféodée à la Révolution. Pour ranimer, pour galvaniser l’Église constitutionnelle, il essayait de lui rendre une situation privilégiée et un monopole de fait.

Les catholiques en appelèrent du ministre au Consul. Il existait à Paris un groupe de catholiques de foi profonde et de vie édifiante, désireux de réconcilier l’Église avec les lois nouvelles, avec les lois plus douces ; leurs chefs étaient les anciens supérieurs de Saint-Sulpice et principalement l’abbé Emery, cet infatigable artisan de la pacification religieuse. Au nom de ce groupe, l’abbé Bernier, qui s’était signalé en obtenant la soumission des chefs vendéens, vint trouver le premier Consul. L’attitude de Bonaparte fut caractéristique de ces temps de transition et des ménagemens dont il recouvrait encore ses in- tentions profondes. Il ne réprima pas son ministre par acte public, mais le désavoua nettement en conversation. D’après ses propres paroles à Bernier, les lettres et instructions du ministre n’exprimaient pas la véritable pensée du gouvernement. Cette pensée, il fallait la chercher dans les termes mêmes de l’arrêté et dans l’article du Moniteur qui en était le commentaire autorisé. En conséquence, on ne pouvait opposer à aucun prêtre le défaut de serment antérieur comme un empêchement à souscrire la promesse et à exercer le culte. Pratiquement, l’interprétation de Bonaparte prévalut peu à peu sur celle de Fouché.

Toutefois, Bonaparte n’avait pas révoqué les pénalités individuelles,