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des plus anciens préjugés, » auxquelles il paraît impossible d’arracher encore une fois leurs pasteurs de prédilection. Dans les départemens belges, en Alsace, dans la Savoie où la Terreur elle-même n’a pu décapiter les clochers et abattre les croix, dans certaines régions du centre, dans la fervente Lozère, dans les pays de montagnes, refuge et retranchement des antiques croyances, le culte insoumis s’exerce impunément et presque ouvertement.

A mesure qu’on approche de l’Ouest, la tolérance s’accroît. Dans l’Orne, Fouché en vient à recommander au préfet Lamagdelaine d’accorder des permis individuels d’exercer même aux nouveaux réfractaires, à condition que, sans prononcer la formule qui déchire leur conscience, ils se soumettront virtuellement, prêcheront à leurs ouailles l’obéissance aux lois, le respect du gouvernement, et participeront à l’œuvre pacificatrice. La tolérance devient ainsi un encouragement, une prime à la soumission de fait. En Maine-et-Loire, le procureur général invite le maire de Mayenne à faire dire aux prêtres cachés qu’ils peuvent sans crainte rentrer dans les églises et y dire la messe ; toutefois, il ne veut point se compromettre par un engagement écrit : sa parole doit suffire[1].

Dans les départemens de la ci-devant Bretagne et en Vendée, la tolérance envers les insoumis devient positive, absolue, officielle. Détacher le catholicisme de la fidélité monarchique, séparer l’autel du trône, c’est toute la politique de Bonaparte en ces pays de foi exaspérée. Pendant les pourparlers pacificateurs avec les chefs de chouannerie, il avait permis à son représentant, le général Hédouville, de ne point insister sur la promesse à exiger des prêtres ; conséquemment, les commandans militaires avaient délivré aux insoumis des cartes de sûreté et des autorisations d’exercer. Les préfets eurent à continuer ce système. Les prêtres de toute catégorie furent admis à rentrer dans les églises de campagne, à y célébrer les offices avec une certaine solennité ; on faisait plus que de les autoriser à. rentrer dans les églises, on les y invitait : il importait qu’aux yeux du peuple le catholicisme apparût rétabli dans son plein exercice et que le gouvernement ne passât plus pour l’ennemi de Dieu.

  1. L’Ancien clergé de France, par l’abbé Sicard, t. III, 501. Cet ouvrage est capital pour l’histoire du clergé et surtout de l’épiscopat pendant la période révolutionnaire.