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assister à un simulacre de cérémonie, pour faire le geste religieux. Consulté par le préfet, Fouché assimila ces réunions à des clubs et les interdit parce qu’elles ne se conformaient point à la loi sur les sociétés politiques, « attendu que tout rassemblement religieux supposait un orateur et un régulateur. » En certains cantons, les paysans en veulent à Bonaparte de ne leur avoir point restitué la liberté intégrale du culte, qu’il avait paru leur promettre, et l’appellent un trompeur[1].

La force de l’accoutumance catholique se manifeste surtout par le discrédit de plus en plus marqué où tombent les observances décadaires, les lois profanatrices du dimanche et des jours fériés, ces lois minutieuses, vexatoires, par lesquelles le Directoire s’était rendu odieux à la masse du peuple et s’était fait le tyran des humbles. Bonaparte trouvait ces prescriptions stupides. Il savait toutefois qu’aux yeux de beaucoup de républicains elles s’identifiaient avec la République. Sans y toucher, le gouvernement consulaire se bornait à fermer les yeux sur l’universelle infraction.

Le consul Lebrun disait doucement au préfet Barante, qui s’en allait dans l’Aude : « Vous ne trouverez sans doute pas mauvais que les jeunes filles aiment mieux danser le dimanche que le Décadi. Vous mettrez dans tout cela de la prudence et du discernement[2]. » Légalement, le peuple n’a pas le droit de travailler et de tenir boutique ouverte le Décadi, de se reposer et de s’amuser le dimanche ; ce droit, il le prend, et les autorités laissent faire. Dans les villes, sous l’œil et devant l’exemple des fonctionnaires, on observe encore un peu le Décadi ; aux champs on ne reconnaît plus guère d’autres jours fériés que ceux consacrés pur l’Église ; il en résulte une anomalie de plus dans cette incohérente période ; les villes chôment le Décadi et les campagnes le dimanche ; il semble qu’il y ait un calendrier citadin, revêtu de l’estampille officielle, et un libre calendrier rural.

Il est vrai qu’en chaque chef-lieu de canton, dans l’église même rendue aux chrétiens, le culte décadaire, c’est-à-dire le culte de la patrie révolutionnaire et des vertus civiques, conserve

  1. Dans le Sancerrois, l’administration écrit, après avoir signalé les menées des réacteurs : « Le petit peuple ignorant, influencé par eux, appelle Bonaparte Bon-attrape, parce qu’il n’a pas rétabli entièrement la religion, c’est-à-dire la domination d’un culte sur les autres
  2. Souvenirs du baron de Barante, I, 50.