n’est plus au temps où un commissaire du Directoire, s’applaudissant de la destruction de tous emblèmes extérieurs, ajoutait : « J’ai cependant trouvé dans ma tournée des cimetières où les croix poussent sur les tombes comme les champignons sur les couches. J’en ai fait faire plusieurs récoltes au grand scandale des fanatiques. Comme le germe de ces croix est dans leur tête, je suis certain que depuis elles repoussent. » Elles repoussent en effet par milliers au printemps de 1800, ces croix de bois, protectrices des tombes rustiques, et déjà quelques croix de pierre se replacent au sommet des porches.
Après le décret consulaire sur la liberté des cultes, les cloches, se croyant affranchies, avaient carillonné de tous côtés et fait un grand vacarme, mais le nouveau gouvernement n’avait point admis que le culte sonnât sa résurrection de cette façon par trop agaçante pour les oreilles révolutionnaires, par trop publique et triomphale. Les administrations collectives d’abord maintenues, encore imbues des principes du Directoire, avaient assez durement refréné les cloches ; contre quelques-unes on avait sévi brutalement ; on leur avait arraché la langue ; à la grosse cloche de la cathédrale de Troyes, on avait enlevé son battant. Après l’établissement des nouvelles magistratures, les préfets même les plus modérés refusèrent la permission de sonner. Dans les villes, on tenait compte de leur défense, mais comment réprimer les milliers de cloches campagnardes qui profitaient de leur éloignement des autorités préfectorales et de leur dispersion, qui épiaient un moment d’inattention ou d’indulgence de la part des maires, pour se remettre séditieusement en branle ? Donc, elles sonnent par intermittences, par instans et par endroits, obstinément, effrontément ; contre les délinquantes, on dresse procès-verbal ; elles récidivent. On les fait taire en tel lieu ; elles s’insurgent à côté. Il n’est guère de département ou d’arrondissement où il n’y ait réveil des cloches, tantôt dans un village, tantôt dans un autre, et ce tintement épars, disséminé, s’arrêtant ici, reprenant là, s’élevant toujours quelque part, passant et repassant par vibrations fugitives d’un bout de la France à l’autre, semble la voix même du peuple s’obstinant à prier tout haut et à laisser monter vers le ciel, avec le chant des cloches, l’envolée des âmes.