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car j’estime et j’aime les prêtres qui sont bons Français, et qui savent défendre la patrie contre ces éternels ennemis du nom Français, ces méchans hérétiques d’Anglais[1]. » Enfin, par disposition comprise dans l’arrêté du 28 vendémiaire, — 20 octobre, — voici la levée formelle des lois de bannissement ; les lois contre l’émigration cesseront de s’appliquer aux insermentés. Le retour des prêtres, simplement toléré jusqu’alors, devient licite ; il peut s’opérer ouvertement. Toutefois, par circulaires réitérées, Fouché prescrit aux préfets d’exiger des prêtres, comme condition de séjour, la promesse de fidélité et de réprimer rigoureusement leurs écarts.

Ainsi, dans cette grande et difficile question des prêtres, les mesures alternatives se succédaient, se contrariaient. Le gouvernement et la police ne marchaient pas dans le même sens. Devant les circulaires de Fouché et son obstination persécutrice, le Consul s’impatientait parfois, s’irritait, sans donner de sanction à ses colères. Jusqu’au dernier moment, il laissera Fouché frapper odieusement certains prêtres et couvrira ces rigueurs. Seulement, tandis qu’il conserve en Fouché le ministre de l’irréligion publique, il se fait de l’abbé Bernier un ministre officieux des cultes, chargé de rassurer sous main et de pratiquer le clergé. Au fond, sans s’inquiéter de contradictions qui résultaient nécessairement d’une situation mal définie, équivoque, dont les complications étaient telles qu’à vouloir la régler d’ensemble par acte de législation intérieure ou de gouvernement on se fût heurté partout à des impossibilités, il suivait son idée personnelle, s’attachait au moyen qu’il s’était choisi, au moyen extérieur et diplomatique, et regardait vers Rome.

Autour de lui, il tâtait et préparait prudemment les esprits. Devant le Conseil d’Etat, d’un air dégagé, avec une affectation d’impartialité dédaigneuse, il disait qu’en bonne politique on doit ménager et se concilier les croyances populaires, quelles qu’elles soient ; c’était son système, et il lui avait toujours réussi : « C’est en me faisant catholique que j’ai fini la guerre de Vendée, en me faisant musulman que je me suis établi en Égypte, en me faisant ultramontain que j’ai gagné les esprits en Italie. Si je gouvernais un peuple de Juifs, je rétablirais le temple de Salomon[2]. » Avec ses hauts amis de l’Institut, il dissertait sur

  1. Corr., 5026.
  2. Rœderer, III, 334.