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l’utilité de rattacher la religion à l’Etat afin de la mieux tenir. Il n’arrivait pas à convaincre ses interlocuteurs, ceux-ci n’arrivaient pas à le dissuader, et Fouché, d’esprit plus aigu, se sentait en face d’une détermination inflexible, devant laquelle il n’y avait qu’à hausser les épaules et à se taire : « C’est un parti pris, » disait-il. Et voici que les paroles prononcées à Verceil portent leur effet. Le prélat Spina est envoyé de Rome à Verceil, où la cour pontificale s’imagine que les pourparlers auront lieu. Bonaparte le mande impérieusement à Paris, ouvre la négociation ; le fil qu’on lui renvoie, il le tire à soi et le noue fortement.


II

Quelles raisons le déterminaient ? Qu’il eût des raisons de principe et de fond, indépendantes des circonstances, inhérentes à sa façon de concevoir le gouvernement et les sociétés, nul n’y saurait contredire. Il voyait dans la religion un grand instrument de règne, le frein des passions populaires, le moyen de faire la police des âmes et d’amener les hommes à supporter l’inégalité des conditions. Il voulait Dieu par raison d’Etat, pour en faire le suprême auxiliaire des puissances d’ici-bas. De plus, il est certain qu’au fond de lui-même, sous un appareil d’idées philosophiques assez incohérentes, l’empreinte catholique subsistait. Il aimait d’intime prédilection son culte natal, le culte méditerranéen et latin, celui qui avait bercé son enfance, celui dont la voix s’élevant dans le son des cloches, lorsqu’il l’entendait par les calmes soirs d’été, le jetait en un étrange ravissement. De ce culte, il aimait le décor extérieur, la pompe : il en sentait la poésie. Par un contraste tout italien, il se méfiait des prêtres et n’était nullement inaccessible à l’émotion religieuse. Toutefois, ce serait s’abuser singulièrement que d’attribuer à des impressions de ce genre, aussi bien qu’à des raisons purement théoriques, l’acte le plus politique en même temps que le plus brave de sa vie. Il s’y détermina par motifs d’ordre immédiat et contingent. Il fit le Concordat parce que cet acte répondait à ses ambitions présentes, aux nécessités de sa politique pacificatrice, aux besoins contemporains, et parce qu’en vérité, voulant résoudre le problème religieux qui opprimait la France, il ne pouvait faire autrement.