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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/563

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témoignage de la confiance générale qu’inspirent des renseignemens si sévèrement contrôlés.

Sauf pour la droiture et la loyauté, Scherer ne ressemblait en rien à Nefftzer. Sa taille élancée, sa figure à arêtes vives contrastaient même avec la carrure et avec le visage épanoui de son ami. Élevé à Genève, ancien ministre du culte protestant, il gardait quelque chose du puritain dans sa tenue sévère, dans la correction constante de son attitude. Comme chez Renan, mais dans un genre tout différent, le pli ecclésiastique était pris pour toujours ; chez l’un la rondeur onctueuse du prêtre catholique, chez l’autre la rigidité du pasteur. L’immense lecture de Scherer, sa connaissance des langues étrangères avaient meublé son esprit d’une foule d’idées et d’aperçus qui le rendaient éminemment propre à la critique littéraire et philosophique. Il s’y consacra dans le journal avec une application passionnée. Chacun de ses articles forçait l’attention. C’était quelque chose de serré et de ferme, aussi pénétrant que du Sainte-Beuve, avec moins de souplesse et moins de charme, avec une gravité plus soutenue.

On connaissait déjà dans ce temps-là la critique complaisante qui ne se donne aucune peine pour approfondir, qui ne fait qu’effleurer les sujets en s’épargnant la fatigue de penser et le désagrément de contredire. Ce n’était à aucun degré la manière de Scherer. Il ne critiquait pas de parti pris, il témoignait même une certaine bienveillance aux débutans dont le mérite avait besoin d’être encouragé. Mais aucune réputation, aucun titre officiel, pas même la qualité de membre de l’Académie française, n’influait sur la liberté de ses jugemens. Il jugeait les œuvres et les hommes en toute indépendance sans qu’aucune considération extérieure fit fléchir sa sévérité. Je ne crois pas qu’il eût jamais pu se décider à écrire une ligne qui ne fût pas l’expression exacte de sa pensée, qu’il eût jamais consenti à atténuer, à adoucir les angles pour faire plaisir à quelqu’un. Cela le rendait redoutable, mais cela donnait à sa critique et par conséquent au journal une autorité indiscutée. Son opinion était de celles qui s’imposent dans le monde des lettres.

En politique, même sincérité, même besoin de dire la vérité à ses amis comme à ses ennemis. Lorsque Nefftzer était malade ou absent, Scherer prenait la plume à sa place. Malgré la différence de leurs tempéramens, le public ne s’apercevait pas du changement. Le fond de la doctrine demeurait impersonnel, ce