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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/562

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bourru, d’un aspect un peu fruste, mais, avec ces dehors qui n’attiraient pas, de l’intelligence la plus fine et la plus pénétrante. Très laborieux, très instruit, connaissant notre langue à merveille, il donna tout de suite au journal une direction littéraire. Il ne se contentait pas de défendre une politique libérale, il voulait que cette politique fût exposée dans le langage le plus clair et le plus correct. Si la forme intéressait ainsi la délicatesse de son goût, il tenait encore plus à la valeur du fond. Pas de déclamation, pas de phrases. La dialectique la plus serrée, les questions de personnes au second plan, avant tout la lutte pour les idées et, afin que ces idées gardassent toute leur élévation, pas de signatures au bas des articles. Nefftzer les supprima dès que la loi le permit. A ses yeux, le journaliste ne devait rien représenter de personnel, il n’écrivait pas pour la satisfaction de son esprit, il écrivait pour plaider une cause d’ordre général, pour traiter les questions d’utilité publique et immédiate.

Quelquefois passionné et même emporté, Nefftzer ne badinait pas sur la discipline. Il fallait qu’autour de lui on s’inspirât bien de sa pensée et que la rédaction tout entière conservât un caractère d’unité. C’est lui qui a imprimé au journal le ton de discussion élevé qui s’y maintient encore. Il voulait que le Temps conquît l’estime publique par le sérieux et par la dignité de son attitude. Parmi les preuves d’honnêteté qu’il entendait donner, il plaça au premier rang l’exactitude des informations. Le public de nos jours est avide de nouvelles ; vraies ou fausses, il les accueille avec complaisance. Nefftzer s’imposa l’obligation de ne lui en donner que de sûres. C’était d’autant plus difficile et d’autant plus onéreux qu’il avait en même temps la prétention de nous renseigner par des correspondances bien faites sur tout ce qui se passait dans les différentes parties du monde, comme le font les meilleurs journaux anglais. Il pensait avec raison que, si de grands sacrifices étaient nécessaires à l’origine pour obtenir ce résultat, on en serait tôt ou tard récompensé par la confiance publique. Il ne se trompait pas dans ses prévisions. C’est, en effet, la force et l’honneur du Temps de n’accueillir les informations qu’avec une extrême réserve, après s’être assuré qu’elles ne seront pas démenties. Il doit à ces habitudes de prudence et de loyauté une grande partie de la bonne renommée dont il jouit en France et à l’étranger. J’ai souvent recueilli dans les chancelleries étrangères, de la bouche même des ambassadeurs, le