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réservait au pays la toute-puissance d’une volonté solitaire. D’ailleurs, elle ne mettait en danger aucun intérêt, elle n’appartenait à personne, elle n’était la propriété d’aucun parti.

Si ces sages conseils, si parfaitement d’accord avec la politique de M. Thiers, avaient été écoutés, les conservateurs se seraient épargné bien des déceptions. Leur adhésion loyale et immédiate leur aurait permis de conserver une place dans les conseils du gouvernement. Ils paient encore aujourd’hui la faute qu’ils ont commise alors. Malgré l’adhésion sincère de beaucoup d’entre eux à la forme républicaine, il subsiste à leur égard, même à l’égard de leurs fils, un fonds de défiance dans les âmes populaires. Ils sont venus trop tard à la République. S’ils y étaient venus plus tôt, ils l’auraient consolidée en y prenant une place que leur libéralisme, leur intelligence et leur fortune méritaient. Les deux dates fatales du 24 et du 16 mai auraient été évitées. Nous aurions conservé dans la constitution d’un parti tory, d’une droite républicaine, un élément de force dont nous aurions besoin pour résister à la poussée du parti révolutionnaire. Ce n’est pas la faute du journal le Temps si un tel résultat n’a pas été obtenu. Il a travaillé à l’obtenir avec un courage, avec une persévérance méritoires.


III

Ce n’est pas non plus la faute de quelques périodiques dont l’histoire se lie à celle de l’opposition sous le second Empire : en première ligne de la Revue des Deux Mondes. Ce grand organe, dirigé alors avec tant de fermeté par François Buloz, ne déserta pas un instant la cause libérale. Surveillé de très près par le gouvernement, obligé à une extrême prudence, il n’attaquait pas de front les institutions impériales, il usait des précautions oratoires qu’exigeait le régime draconien de la presse. Mais il n’approuvait que les bonnes choses, il se réservait sur les autres, indiquant d’une façon discrète, sensible cependant pour le public, les points sur lesquels il n’était pas d’accord avec le pouvoir. Cette opposition mesurée, qui procédait par voie de réticences, d’allusions et de comparaisons avec l’étranger, avait quelquefois le don d’exaspérer les maîtres du jour. On faisait dire alors au directeur de la Revue qu’il eût à se bien tenir, qu’on ne supporterait pas plus longtemps cette guerre de coups d’épingle. J’ai