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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/575

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côté l’orgueil, la superbe de la philosophie païenne la plus spiritualiste, de l’autre le charme, la grâce, hi beauté, toutes les séductions des sens. Celles-ci finirent naturellement par l’emporter.

Comment un esprit si délicat, nourri de la moelle des anciens, de ce qu’il y a de plus poétique et de plus pur dans Homère, dans Hésiode, dans les tragiques grecs, en arriva-t-il à professer en politique les opinions les plus avancées ? La haine de l’Empire, très vivace chez Louis Ménard, ne suffit pas à expliquer ce phénomène. D’ailleurs, l’Empire était mort lorsque je surpris chez lui un mouvement de colère inattendu. C’était au lendemain de la Commune. Il me semblait que le massacre des otages et les incendies allumés dans Paris devaient répugner à cette nature de poète et d’artiste. Je me trompais. Toute sa sympathie allait aux Communards. Il les plaignait, il accusait de barbarie et de cruauté les troupes venues de Versailles, les Versaillais comme on disait alors. Peut-être était-ce le résultat de sa générosité naturelle, un fonds de pitié pour les vaincus dont il avait lui-même fait partie si longtemps, le mépris de la race des vainqueurs, le souvenir amer des mensonges par lesquels le gouvernement militaire de Paris avait pendant le siège abusé la population parisienne et provoqué l’explosion de la Commune. Comme par un souvenir de l’éducation chrétienne qu’il répudiait, la souffrance et la défaite attiraient irrésistiblement Louis Ménard. Pendant que son esprit habitait avec une sérénité poétique l’Olympe du paganisme, son âme était saisie involontairement de l’immense sentiment de pitié que les premiers chrétiens révélaient au monde.


VI

Parmi les foyers intellectuels qui, sous le second Empire, subsistaient à Paris en dehors du monde de la Cour et des personnages officiels, il n’est que juste de rappeler quelques salons choisis. Je ne les ai pas connus tous. On me permettra de donner un souvenir à ceux que je fréquentais. Le premier en date et en importance est celui du duc Victor de Broglie, ancien pair de France, ancien ministre du roi Louis-Philippe. J’y avais été introduit de bonne heure par mon ami de Lorraine, le comte d’Haussonville, gendre du maître de la maison. Maison ouverte à un très petit nombre de personnes, mais ouverte tous les soirs