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pendant six mois de l’année. Quoique le duc eût occupé à plusieurs reprises les plus hautes fonctions de l’État, il conservait un fonds de timidité naturelle qui le faisait paraître au premier abord froid et réservé. Cette impression une fois dissipée, que de nobles qualités on découvrait en lui, quelle probité politique, quelle sincérité de libéralisme, quel attachement aux principes de 1789 ! Tout jeune, nommé pair de France par le roi Louis XVIII, il avait commencé sa carrière en refusant de voter la mort du maréchal Ney. Cet acte de courage indiquait l’orientation de toute sa vie ; une intelligence ouverte et ferme, assez de clairvoyance pour comprendre où était le devoir, assez d’énergie pour ne pas se laisser entraîner par les passions du moment. Tel il demeura jusqu’à la fin, indépendant, peu fait pour les compromis et pour les concessions, en reconnaissant l’utilité, mais par goût, par tempérament ne s’y prêtant pas volontiers. Il avait une parole nette et précise qui renfermait beaucoup de choses en peu de mots. Un jour où je lui demandais ce qu’il pensait de l’empereur Napoléon III, il me répondit brièvement : « Je l’ai jugé. » Le simple rappel du jugement prononcé par la Cour des pairs contre le prince, à la suite des équipées de Strasbourg et de Boulogne, équivalait dans sa pensée à un jugement définitif.

Chez lui se retrouvaient tous les soirs son fils aîné, le prince Albert de Broglie, le comte Louis de Viel-Castel, ancien directeur des affaires politiques au ministère des Affaires étrangères, le baron de Sahune, ancien député, Xavier Marmier, quelquefois le philosophe Paul Janet, le physicien Verdet : quelquefois aussi, mais plus rarement, M. Guizot. Le dé de la conversation était toujours tenu par le plus merveilleux causeur de cette époque, par le spirituel Doudan dont Mme du Parquet a publié la correspondance. Habitant depuis de longues années l’hôtel de Broglie, ayant élevé le prince Albert, Doudan s’exprimait sur tous les sujets avec une entière indépendance. Respectueux du sentiment religieux chez les autres, mais pour son compte d’esprit très libre, il persiflait volontiers les tenans du parti catholique militant, particulièrement les ultramontains, Mgr Pie évêque de Poitiers, Louis Veuillot et toute la clientèle de l’Univers. Il était de ces catholiques de naissance et de tradition qui ont horreur d’un parti politique religieux, c’est-à-dire de l’intervention de l’Église dans les affaires humaines. L’honnête homme tel qu’on