Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/581

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par le sérieux avec lequel elle écoutait que par de fréquentes interventions personnelles. On s’adressait à elle, on la prenait en général pour juge du camp, mais on n’attendait pas d’elle une réplique détaillée. Souvent elle opinait d’un mot ou d’un geste de tête, montrant bien qu’elle ne perdait rien de ce qui se disait, mais sans aucune prétention de diriger l’entretien. Elle n’en demeurait pas moins le centre réel, le lien presque unique entre tant de personnes qui ne se rencontraient que chez elle, depuis son frère M. de Flavigny et le comte Louis de Viel-Castel, familier de la maison de Broglie, jusqu’à Challemel-Lacour et au prince Louis-Napoléon. La politique impériale y était traitée sans ménagemens, comme une politique de circonstance qui ne devait pas durer, que remplacerait nécessairement tôt ou tard un régime plus libéral. On crut toucher au port, tenir enfin ces institutions libres auxquels aspiraient tous les habitués de la maison, lorsque, au mois de janvier 1870, M. Emile Ollivier fut appelé au ministère. Le salon de Daniel Stern, les idées qu’il représentait triomphaient avec le nouveau chef du cabinet. Triomphe de courte durée auquel allaient succéder trop tôt les angoisses de la guerre et les humiliations de la défaite.

La politique était loin d’absorber l’activité d’esprit de Daniel Stern. Elle aimait les lettres pour elles-mêmes, de l’amour le plus éclairé et le plus noble. Les soirées littéraires qu’elle donnait de temps en temps témoignaient d’un goût très délicat. Un jour on y entendait l’excellent acteur italien Rossi réciter quelques scènes d’Othello ou de Roméo et Juliette. Un autre jour c’était Ponsard déjà presque mourant qui lisait son Galilée. On n’osait rien refuser à une maîtresse de maison si accomplie. Ponsard se sentait mourir, il avait monté l’escalier de la maison appuyé sur le bras de sa femme, en s’arrêtant à chaque marche. Mais il avait suffi que Daniel Stern témoignât un désir pour le galvaniser. Depuis sa jeunesse, cette femme supérieure exerçait ainsi une séduction irrésistible sur tous ceux qui l’approchaient. L’âge ne lui avait rien enlevé de sa puissance. Jusqu’à son dernier jour, deux hommes d’un rare mérite, Louis de Ronchaud et Tribert, se disputaient la joie de lui offrir l’hospitalité pendant les mois d’été, l’un à Saint-Lupicin, dans un des domaines les plus pittoresques du Jura ; l’autre dans sa belle résidence des Deux-Sèvres. Chez l’un comme chez l’autre, elle