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Ces prix, assez rémunérateurs pourtant, ne sont rien auprès de ceux qu’atteignent les toiles et les esquisses des maîtres disparus. Tel d’entre eux n’a pas, en toute sa vie, empoché le chiffre auquel atteint aujourd’hui une seule de ses œuvres en vente publique. C’est là une dépense de riche, présentement étrangère à mon sujet ; je ne m’occupe ici que des recettes réalisées par l’artiste en personne, des sommes que les tableaux d’autrefois ont rapportées à leurs auteurs.


II

Ces auteurs, notables ou obscurs, ou même novices, ne sont plus ce qu’étaient leurs devanciers, — « gueux comme un peintre, » disait un vieil adage, — ils trouveraient étrange qu’on leur proposât de travailler « à la journée, » comme Cimabue et son aide, en 1302, gagés ensemble 23 francs par jour. Vittorio et son fils ne touchaient alors que 9 fr. 50 ; plus tard (1368), Francesco de Vol terre et Nerussio, pour exécuter les fresques du Campo Santo de Pise, recevaient l’un 16 francs, l’autre 10 francs. Ces chiffres[1] représentaient, dans ce que nous pourrions appeler la « série de prix » de l’Europe du moyen âge, le tarif ordinaire de cet « artisan » de première catégorie qu’était le manieur de pinceau. Hugo von der Goes, ou Hugues de Gand, l’auteur d’une Nativité que l’on voit aux Uffizi de Florence, était employé à 22 francs par jour, en 1468, à brosser des décorations pour l’entrée de Charles le Téméraire à Bruges ; à Orvieto, Fra Angelico était appointé au taux presque identique de 576 francs par mois, taux qualifié de « splendide » parce qu’en plus il était nourri.

Nourri, le peintre l’était parfois assez mal ; témoin David Ghirlandajo qui, mécontent de la chère au couvent de Passignano, lança les plats à la tête du frère qui le servait et le blessa grièvement ; ou encore Paolo Uccello qui, fatigué de ne manger que du fromage, prit la fuite et ne revint que sur la promesse d’un menu plus varié et plus copieux. Pour éviter pareils ennuis, le menu des repas était souvent fixé d’avance par-devant notaire :

  1. Je n’ai pas besoin de rappeler ici que tous les prix qui figurent dans cet article sont traduits et exprimés en monnaie actuelle : par exemple Cimabue touchait 10 sous viennois, valant intrinsèquement 6 francs 70 centimes, lesquels auraient aujourd’hui un pouvoir d’achat de 23 fr. 50 c.