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de faux Albert Dürer. On antidatait même les copies d’une année pour leur donner le pas sur les originaux. Le marchand Hans Hieronymus Imhoff, dont la bibliothèque publique de Nuremberg possède le « Petit livre secret, » y consignait pour mémoire ses ingénieuses supercheries : « Une Vierge peinte à l’huile sur un panneau de bois,.. ; mon père, d’heureuse mémoire, a fait peindre au bas le monogramme d’Albert Dürer, mais on ne saurait soutenir positivement qu’A. Dürer soit l’auteur de ce tableau. » Imhoff en usait de même pour d’autres peintres : « Une Vierge..., mon ancêtre, d’heureuse mémoire, l’a fait peindre à Anvers ; je l’ai cédée à Overbeck comme un Lucas de Leyde. »

Quoique les toiles des maîtres d’autrefois, authentiques ou apocryphes, — il en est beaucoup de telles, même dans les meilleurs musées, — aient, semble-t-il, toutes augmenté de valeur aux temps modernes, cette hausse a été très diverse et intermittente. Par exemple, les productions de l’école française du XVIIIe siècle, les Boucher, les Fragonard, qui aujourd’hui atteignent des chiffres inouïs, étaient tombées, il y a soixante ans, dans un tel discrédit qu’elles ne trouvaient guère d’acheteurs ; les premières éditions du Dictionnaire historique de Bouilhet (1845) et le Dictionnaire de la Conversation (1857) ne contiennent même pas le nom de Nattier.

Il serait donc téméraire de s’efforcer d’établir une moyenne du prix des tableaux, à chaque époque, pour comparer le salaire des grands peintres défunts avec celui de nos contemporains. A travers la disparité des chiffres, aux XVIIe et XVIIIe siècles, le lecteur peut néanmoins constater ce double fait : la rétribution du labeur artistique, pour inconnu soit-il et ordinaire, a augmenté deux ou trois fois plus que celle des autres labeurs ; le gain des artistes renommés s’est accru dans une proportion huit ou dix fois plus forte. De sorte que l’écart s’est tendu entre l’élite et la masse beaucoup plus qu’autrefois.

Il en coûtait 27 francs en 1640 pour les peintures d’une enseigne de marchand, et 28 fr. 50 en 1737 pour la représentation sur toile de « deux messieurs du régiment de Périgord, destinés à être exécutés en effigie. » Voilà sans doute l’art forain, le plus bas degré de l’échelle. Pourtant il se voyait déjà des tableaux à des prix peu supérieurs. Je ne dis pas de vieilles toiles, comme on en trouve dans les inventaires de châteaux seigneuriaux, mi-abandonnées