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et rongées d’humidité : telles à La Rochefoucauld, en Saintonge (1728), des douzaines de « dames de la Cour dans leurs cadres dorés et ovales, » estimées 16 francs, 8 francs la pièce et au-dessous ; à côté de « Paysages de Flandres » ou d’ « Ecce Homo, » de « Samaritaines » et de « Louis XIV, » de « Marines » et de « Pucelles d’Orléans » à 9 francs, à 7 fr. 50.

Mais de vrais tableaux sont commandés par des villes ou des églises, des « Madeleines » ou des « portraits du Roi, » qui ne coûtent pas plus de 40 et 50 francs. Ceux-là d’ailleurs sont l’exception. C’est entre 100 et 200 francs que se paient au XVIIIe siècle, les toiles destinées à figurer derrière le maître-autel, les Christ pour l’Hôtel de Ville. Nîmes commande à un « peintre de Paris » (1744) une Sainte Marguerite pour 171 francs ; Orléans fait faire pour son musée une Jeanne d’Arc à cheval (1697) pour 140 francs. Peu dépassent ce chiffre ; au-dessus de 200 francs, c’est le luxe ; au-dessus de 300 francs, commencent les tableaux de maître.

Jusqu’où vont-ils ? Le prix le plus haut que j’aie noté sous Henri IV et Louis XIII est de 14 000 francs. Il a été payé à Rubens pour son Actéon par Philippe IV d’Espagne vers 1622. Chiffre unique dans la carrière de Rubens, comme la situation elle-même de Rubens fut unique dans l’opinion de son temps. Nul autre n’eut comme lui la clientèle internationale, une vogue aussi européenne unie à un rang égal. Si pourtant il laissa la plus belle fortune de peintre qui ait été faite naguère, — sa collection fut vendue à sa mort 680 000 francs, — Rubens n’en fut pas redevable au prix, mais bien au nombre, de ses tableaux : la Descente de Croix, que l’on admire à Anvers, lui avait été payée à 34 ans (1611) 4 320 francs ; la Communion de saint François, 1 350 francs ; Céphale et Procris coûta 390 francs, et nombre de petits portraits, faits pour le compte de Ralthazar Moretus, rapportèrent au peintre 40 francs l’un dans l’autre.

Rubens fit donc de la peinture à tous prix et ses toiles les plus importantes ne valaient pas plus de 4 000 à 4500 francs ; chiffre auquel lui-même estimait son Ulysse reconnu parmi les filles de Lycomède, œuvre de 3 mètres de haut sur 3m, 30 de large, qu’il fit avec l’aide de van Dyck (1618) et qui, présentement au musée de Madrid, ne fut vendue en 1795 que 6 400 francs. Le renchérissement des tableaux, ne l’oublions pas, est tout moderne. Du même Rubens, les Amours des Centaures, entrée dans