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était l’égal aux loges du 4e étage de la Plaza de Toros. Plus tard officier de garde-robe, surintendant des travaux de l’Alcazar à 7 000 francs de gages annuels, enfin grand maréchal du palais et chevalier de Saint-Jacques un peu avant sa mort. Mais les appointemens, les pensions et les peintures étaient irrégulièrement payées, à la Cour d’Espagne comme à la Cour de France, et Velazquez réclamait sans cesse ses années en retard. Il passa sa vie dans la gêne et ne laissa presque rien.

En France, les « maîtres en peinture » et autres « fameux artisans, » que l’on faisait venir de l’étranger, étaient mieux rétribués : à François Porbus, pour ses portraits des membres de la famille royale, au Guide pour ses Madones, on allouait 1 700 à 1 800 francs. Les pensions du « premier peintre du Roi, » qui n’étaient que de 2 000 francs du temps de Simon Vouet, montèrent à 15 000 du temps de Le Brun et de Coypel.

La fondation de l’Académie des Beaux-Arts avait relevé la dignité du peintre. Mignard obtint d’une Madeleine 6500 francs, et Poussin qui, dans sa jeunesse, à Rome, cédait ses Batailles pour 100 francs, les vendit par la suite 600 francs. Il reçut même pour la Peste, l’un de ses chefs-d’œuvre, une somme de 9 700 francs du duc de Richelieu ; mais c’était une aubaine très rare.

Le grand artiste, l’artiste « arrivé » et classé, tirait en général de ses œuvres des sommes qu’un de nos prix de Rome, médaillé d’hier au Salon, trouverait dérisoires. Snyders vendait ses Chasses 325 francs ; Téniers ses scènes d’intérieur, et Van Goyen ses paysages 90 à 450 francs.


V

Nulle carrière, mieux que celle d’Hyacinthe Rigaud, ne nous offre le prototype du peintre célèbre sous Louis XIV et sous Louis XV (1659-1743). Il vécut quatre-vingt-quatre ans, agrafa la vogue de bonne heure et la conserva jusqu’à sa mort. Il peignit et fit peindre sous lui durant soixante-cinq ans environ. Il peignit deux rois et deux règnes. Toutes ou presque toutes les perruques illustres, depuis les blondes in-folio du XVIIe siècle jusqu’aux cadenettes poudrées du XVIIIe, posèrent devant lui. Jamais aucun pinceau ne fixa sur la toile tant de boucles postiches, ni d’ailleurs plus de grands personnages des deux sexes, de toutes les conditions et de tous les pays. De plus, tout en aimant