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la gloire en véritable artiste qu’il était, — témoin le Bossuet du Louvre, — il savait la gérer en bon administrateur ; portraitiste très laborieux et abondant, remâchant ses productions originales en de nombreuses copies, qu’il faisait tirer à bas prix par des subalternes et revendait au meilleur bénéfice possible, après les avoir enrichies et authentiquées de sa signature.

Enfin, — et c’est à ce dernier titre qu’il nous est particulièrement précieux, — ce maître si renommé, si actif et si soigneux de ses intérêts, tenait ses comptes à merveille. Les carnets de Rigaud, que possède la bibliothèque de l’Institut, nous font connaître pour chaque année, en regard de la liste de ses modèles, les honoraires qu’il a reçus de chacun d’eux, aussi bien que les sommes payées par lui aux copistes à ses gages.

Au début (1681) le peintre a vingt-deux ans ; récemment arrivé à Paris, inconnu, il ne peignait guère que de petites gens, et combien bon marché, — 38 francs chacun. — Cependant le grand prix de l’Académie qu’il remporte cette année-là le met en évidence, et le président Mole lui commande son portrait, — 152 francs, — puis, satisfait sans doute, celui de la présidente qu’on lui paye immédiatement le double. Il fait en tout cette année-là 32 portraits pour 2 200 francs, ce qui les met en moyenne à 69 francs. Quatre ans après (1685), les chiffres ont monté et varient de 230 francs à 1 140 francs. En 1690 il est lancé ; il vend ses toiles 400 francs au duc de Richelieu, au comte d’Estrées, à la comtesse de Fürstenberg, et obtient 2 400 francs du duc de Bourbon.

Le bilan de 1696 est de 30 portraits pour 20 500 francs, — 680 francs en moyenne, — et de 9 copies à 310 francs, soit un total de 23 300 francs ; plus que doublé l’année suivante, — 52 769 francs, — avec 34 portraits et 18 copies. Ce chiffre fructueux tenait à des commandes exceptionnelles : le Dauphin et le prince de Conti, chacun 6 900 francs ; « le milord Portland et son fils, » 3 000 francs et l’ « illustre abbé de la Trappe, de Rancé, » 3 100 francs[1]. Les taux ordinaires payés par le prince de Guéménée, par le cardinal de Nouilles, sont de 500 à 600 francs. Un premier portrait en buste, de « M. l’évêque de Meaux, » que fit Rigaud en 1698, lui fut payé 480 francs, somme identique à

  1. Saint-Simon prétend que Rigaud demanda 10 500 francs (de notre monnaie) pour peindre l’abbé de Rancé ; on voit que le prix réel est bien éloigné de ce chiffre.