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« Turin, 30 août -1797 . — Je n’ai pu lire sans une certaine palpitation, monsieur le comte, la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, le 30 juillet. Malgré la pureté de mes intentions, la sévérité de mes études, et mon attention soutenue à me demander compte de mes moindres idées, c’était une rude besogne que celle de parler du roi de France sans sa permission, et je craignais à chaque ligne qu’un triste Mais vînt m’apprendre que j’avais déplu. Mais je vois que la conscience ne trompe pas, et je goûte l’ineffable plaisir d’avoir fait un ouvrage agréable à Sa Majesté sans avoir fait un ouvrage de commande.

« Au moment même où j’ai reçu votre lettre, monsieur le comte, j’allais moi-même prendre la liberté d’écrire à Sa Majesté, et mettre à ses pieds, comme moins indigne d’elle, la deuxième édition d’un ouvrage horriblement maltraité à l’impression. Dites-lui, monsieur le comte, que je ne suis pas son sujet, mais qu’Elle n’en a pas qui soit plus véritablement que moi dans ses intérêts. J’ai pour sa personne un attachement rationnel qui n’a jamais varié ; je l’aime comme on aime la symétrie, l’ordre, la santé ! Aucun effort ne me coûterait, s’il pouvait seulement lui gagner un ami. Je crois son bonheur nécessaire à l’Europe ; je déteste ses ennemis d’une haine philosophique, qui n’a de commun avec la passion que la chaleur et l’énergie. J’abomine la Révolution qui a détrôné sa famille ; je n’ai rien oublié pour en mettre à découvert la racine hideuse et fétide. Si je n’ai pas réussi, ce n’est pas ma faute. Quel dommage, monsieur le comte, que je ne sois plus à temps de faire à mon ouvrage les corrections qui seraient du goût de Sa Majesté ; l’impression est achevée ; du moins, l’imprimeur me mande qu’on était sur le point de tirer les deux dernières feuilles. Je vous promets cependant un post-scriptum[1] et un errata tels que vous pouvez les désirer, et qui ne compromettront ni le Roi, ni ses entours. Il ne reste qu’à presser le travail. Les fautes honteuses qui déshonorent la première édition m’avaient chagriné au-delà de toute expression. J’espère que la seconde me consolera. Je voudrais bien savoir si le Roi ne m’a pas fait l’honneur de rire du mot Tyrannie si spirituellement placé à la page 147, à la place de celui de dynastie. Il y en a cent de cette force. Les corrections et les additions envoyées pour la deuxième édition en feront un

  1. Ce Post-scriptum inséré dans la seconde édition, dite édition de Bâle, a été maintenu dans toutes celles qui ont suivi.