monsieur le comte, je ne me ferais aucune délicatesse d’accepter de l’argent du personnage éminent qui est, à mes yeux, aussi roi que Louis XIV. Mais, j’ai encore un souverain (jusqu’à demain peut-être), un bon souverain qui me paie, non pas autant que j’en aurais besoin et qu’il le désirerait probablement, mais assez pour que je puisse vivre. Je suis encore à son service virtuellement, comme on dit au collège, et je n’ai pas encore épuisé totalement mes ressources. Ainsi, monsieur le comte, je prendrai la liberté de ne point accepter la lettre de change. Mais, je vous l’avoue, je recevrais avec beaucoup de respect et de reconnaissance un signe de la satisfaction du Roi. J’aurais eu la hardiesse de lui demander son portrait, si je pouvais me parer de ce don dans ce moment, et si même, en ne le montrant pas, il n’était pas dangereux pour moi. Mais un petit bijou, un cachet, un camée, etc., que je pourrais porter et qui ne dirait rien à d’autres yeux que les miens, me serait infiniment agréable. Si le Roi m’accordait cette faveur, j’exclurais absolument le diamant, et même toute valeur qui s’approcherait de la lettre de change. Si le papier était durable, je demanderais une bague de papier. Vous savez mes intentions, monsieur le comte. Je pense bien que vous ne voudriez pas me chagriner ; et même, je ne vous fais cette demande que pour mettre à l’aise la bonté du Roi auquel, par parenthèse, je faisais une demande sotte dans la première lettre que j’ai eu l’honneur de vous écrire, car j’appris, peu de temps après, que la chose n’était pas possible, quand même il n’y aurait point eu de changement.
« Il est une autre grâce que je pourrais demander à Sa Majesté. Si, dans ses relations avec les cours du Nord, elle voyait quelque place auprès de quelque jeune prince, qui pût me convenir, je me recommanderais à ses bontés, car, depuis le fatal événement qui fait le sujet de cette lettre, il me paraît trop certain que je serai forcé de quitter le service du Roi ; et, en vérité, je ne sais ce que je deviendrai. Je voudrais bien, monsieur le comte, vous parler du 18 fructidor ; mais le 28 octobre m’occupe trop. Je pars sur-le-champ, je vais dans le duché d’Aoste, et de là, je ne sais où. Je vous supplie de ne pas m’écrire jusqu’à ce que je vous à le dit où je suis. Je crains mortellement que vous ne m’ayez adressé quelque nouvelle lettre par la même voie. Enfin, monsieur le comte, il y a une fatalité incroyable attachée à la bonne cause, et qui poursuit tous ceux qui s’en mêlent. Il suffit de vouloir