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tout entière. L’Angleterre, depuis la tragédie de 1903, donnait à ces sentimens puritains dont l’opinion et la presse font volontiers parade quand l’intérêt britannique n’est pas engagé, la satisfaction de bouder le régime établi après le meurtre du roi Alexandre ; l’été dernier, cinq officiers, connus pour avoir participé à l’attentat, ayant été mis à la retraite, tout en conservant, d’ailleurs, leur influence et l’intégralité de leur traitement, le Foreign Office s’empressa de prendre prétexte de cette satisfaction pour rétablir ses relations diplomatiques avec Belgrade ; un ministre britannique, M. Whitehead, présenta au roi Pierre ses lettres de créance. — Depuis Trieste jusqu’à Salonique, l’Italie, dans la péninsule des Balkans, est en rivalité d’influence avec l’Autriche ; il est naturel qu’elle cherche à fortifier, en Serbie et au Monténégro, un élément slave capable d’opposer une digue à la marée montante du germanisme. La reine d’Italie est la fille du prince de Monténégro, la belle-sœur du roi Pierre Ier, et l’on parlait, tout récemment, d’un mariage entre un prince de la maison de Savoie et la princesse Hélène de Serbie : une telle union ne serait que la manifestation publique des bonnes relations qui existent entre Belgrade et le Quirinal, — Enfin nous avons vu comment le cabinet Pachitch a trouvé, en France, un utile concours pour exporter ses produits agricoles et sortir d’une crise pénible. Ces sympathies, qui venaient spontanément à la Serbie, lui apportaient non seulement un appui matériel, mais surtout un réconfort moral, au milieu des difficultés où elle se débat, et contribuaient à lui faire prendre conscience de la place qu’elle occupe, et surtout de celle qu’elle pourrait tenir, dans la politique danubienne et balkanique.

Autant qu’à leur puissance matérielle, la force des nations se mesure aux espérances qu’elles incarnent et aux revendications qu’elles personnifient : plus encore que de ce qu’elles sont, leur importance dans le monde est faite de ce qu’elles pourraient devenir. Dès qu’on a franchi le Danube et la Drave, on a l’impression de pénétrer dans une Europe qui n’a pas encore pris son assiette définitive ; on marche sur un terrain encore mouvant ; les nationalités semblent inachevées, les frontières provisoires, les États instables ; à chaque instant, des combinaisons nouvelles de peuples peuvent s’y former ; les États, créés sans souci des aspirations nationales, tendent, d’un effort continu, à briser les lisières dans lesquelles les diplomates européens ont