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ridicule et insupportable. Il me mit dans la confidence de ses impressions, et de la sorte mon nouveau camarade ne fut plus pour moi qu’un objet de moquerie et de dérision perpétuelle.

M. May passa un an et demi à nous accompagner en. Suisse et en Hollande. Nous séjournâmes assez longtemps dans la petite ville de Gertruydenberg. Là, je devins, pour la première fois, amoureux. Ce fut de la fille du commandant, vieux officier, ami de mon père. Je lui écrivais toute la journée de longues lettres que je ne lui remettais pas : et je partis sans lui avoir déclaré ma passion, qui survécut bien de deux mois à mon départ. Je l’ai revue depuis : et l’idée que je l’avais aimée lui avait laissé un intérêt ou peut-être simplement une curiosité assez vive sur ce qui me regardait. Elle eut une fois le mouvement de me questionner sur mes sentimens pour elle ; mais on nous interrompit. Quelque temps après elle se maria et mourut en couches. Mon père qui n’aspirait qu’à se débarrasser de M. May, saisit la première occasion de le renvoyer en Angleterre. Nous retournâmes en Suisse où il eut recours, pour me faire prendre quelques leçons, à un M. Bridel, homme assez instruit, mais très pédant et très lourd. Mon père fut bientôt choqué de l’importance, de la familiarité, du mauvais ton du nouveau Mentor qu’il m’avait choisi ; et dégoûté, par tant d’essais inutiles, de toute éducation domestique, il se décida à me placer, à quatorze ans, dans une Université d’Allemagne. Le Margrave d’Anspach, qui était alors en Suisse, dirigea son choix sur Erlang. Mon père m’y conduisit et me présenta lui-même à la petite Cour de la margrave de Bareith, qui y résidait. Elle nous reçut avec tout l’empressement qu’ont les princes qui s’ennuient pour les étrangers qui les amusent, elle me prit en grande amitié. En effet, comme je disais tout ce qui me passait par la tête, que je me moquais de tout le monde, et que je soutenais avec assez d’esprit les opinions les plus biscornues, je devais être, pour une Cour allemande, un assez divertissant personnage. Le Margrave d’Anspach me traita de son côté avec la même faveur. Il me donna i ! !i titre à sa Cour, où j’allai jouer au pharaon et faire des dettes de jeu que mon père eut le tort et la bonté de payer.

Pendant la première année de mon séjour à cette Université, j’étudiai beaucoup, mais je fis en même temps mille extravagances. La vieille Margrave me les pardonnait toutes et ne m’en aimait que mieux : et dans cette petite ville, ma faveur à la Cour faisait taire tous ceux qui me jugeaient plus sévèrement. Mais je