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LES
IDÉES D’ANTONIO FOGAZZARO

Mon œuvre tout entière trempe par ses racines dans une conception du monde et de la vie dont mon être est pénétré. Depuis mes essais littéraires jusqu’à mes essais philosophiques, depuis mon premier poème jusqu’à mon dernier roman, tout ce qui est sorti de ma plume est fortement coloré, je puis bien le dire, du sang de mon cœur, où des idées lentement, longuement élaborées par la pensée, par l’étude, par la vie, ont pénétré peu à peu, ont fondu dans mes amours, les ont rendues raisonnables et en sont devenues passionnées. L’âge et le malheur, en amoindrissant à mes yeux le prix de tout le reste, n’ont fait qu’accroître mon dévouement pour elles et lui donner le caractère d’un devoir absolu. Elles tiennent étroitement à des vérités si hautes au-dessus de moi, si inébranlables en elles-mêmes et dans mon esprit, qu’après leur avoir consacré mon œuvre d’écrivain, je suis heureux et fier de me dire à leur égard un utile serviteur.


Telles sont les paroles admirables, et dont on ne saurait trop presser le sens, par lesquelles, dans une conférence qu’il était déjà venu faire à Paris en 1898, Antonio Fogazzaro caractérisait lui-même le lien qui unit son œuvre à sa vie. En des termes plus concis et moins étudiés, mais avec cet accent à la fois modeste et passionnément convaincu qui lui donne un charme si attachant, il me redisait un jour : « Je peux bien affirmer que tout ce que j’ai écrit sort du plus profond de mon âme. » Être l’homme de son œuvre et développer progressivement dans cette œuvre les idées qu’on a pensées et celles qu’on a vécues ; agir pour réaliser toutes ses convictions et n’écrire que pour continuer de mieux agir, ce sont là assurément des phénomènes singuliers et comme un paradoxe : et c’est là cependant tout Fogazzaro. Poète, philosophe, orateur, romancier, — romancier surtout, —