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Antonio Fogazzaro a produit déjà une œuvre considérable ; il est l’un des écrivains les plus lus du monde entier et, je crois bien, le plus chèrement goûté des Italiens ; il s’est essayé en des genres assez divers et il a adopté des formes multiples ; mais, à travers cette diversité et cette multiplicité, une pensée unique se développe, un même souffle passe, une seule âme vibre et palpite. C’est bien tout l’être de l’auteur qui s’exprime, car le développement logique de son intelligence, la fougue de sa passion s’orientent, sous la direction d’une volonté inflexible et consciente, vers le même but nettement perçu et ardemment désiré. En une harmonie souveraine et douce, la pensée, l’œuvre et la vie se coordonnent et se concertent, s’avancent et se perfectionnent.

Sous quelle inspiration commune ? Il n’est pas besoin d’avoir beaucoup fréquenté Fogazzaro pour le sentir. L’esprit qui agite cette masse cohérente des actions, des idées et des rêves, c’est l’amour de ce qui monte, de ce qui grandit et de ce qui s’élève, l’élan vers les hauteurs, l’ascension, au sens le plus pur et le plus immatériel du mot, au sens de ce verset que Fogazzaro a mis comme épigraphe en tête de son seul ouvrage de philosophie : Disposuit ascensiones in corde suo ! Toute la philosophie, toute la morale, toute la religion de l’auteur des Ascensioni Umane se résument en ce mot ; et si l’on étudie méthodiquement sa pensée dans la suite chronologique de ses ouvrages, on la voit aussi s’élever progressivement et s’épurer à la flamme vive de l’amour, depuis les incertitudes inquiètes de Malombra jusqu’aux sommets lumineux et sereins de Il Santo.


I

Avant de faire cette étude sur les héros de ses romans, il est bon de s’arrêter aux formules théoriques qu’Antonio Fogazzaro lui-même a pu en donner. Si ce sont, en effet, les recoins les plus chers et les plus intimes de son âme qu’il a scrutés derrière le voile un peu mystérieux et protecteur de ses œuvres d’imagination et de ses personnages fictifs, il ne s’est cependant pas dérobé au devoir de livrer ouvertement sa pensée, en parlant en son nom, sans symboles et sans figures. C’est ce qu’il a fait notamment dans une série de discours et d’articles réunis, les uns dans le volume Discorsi, et les autres dans les Ascensioni Umane.