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est pour moi un symbole ; elle figure pour moi l’idéal de toute représentation littéraire de l’amour, en ce sens que les écrivains doivent se représenter cet amour ordonné qui améliore continuellement l’homme, qui purifie son cœur, qui y met le mépris de toute bassesse et une douceur infinie, l’oubli de toute offense ; qui le pousse au sacrifice et à l’héroïsme, qui le prépare à un sentiment supérieur, qui l’y conduit, qui l’y amène.

Si l’amour a une si grande vertu purificatrice et s’il est notre principal élément d’ascension vers Notre Père, c’est grâce à l’élément d’éternité qu’il contient en lui. Lien palpitant de notre passé et de notre avenir, c’est évidemment par une tension de plus en plus violente vers cet avenir qu’il se développera le plus magnifiquement ! Ici nous apparaît l’un des phénomènes caractéristiques de l’œuvre de Fogazzaro, celui qui lui donne certainement la plus grande originalité dans la littérature contemporaine. Aucun de ses personnages n’assouvit pleinement son amour en ce monde ; et c’est uniquement dans leurs momens de faiblesse qu’ils l’y recherchent ! C’est dans l’autre monde qu’ils se donnent leurs rendez-vous d’amour. Ici-bas ce n’est qu’ébauche et que préparation : le lieu de l’amour parfait, c’est la vie éternelle ! La chose vaut la peine d’être indiquée dans le détail.

Tout le Mystère du Poète n’est qu’une illustration de cette idée. Elle en est la trame même, puisque Violette et le Poète enfin réunis, après tant de difficultés et d’angoisses, jouissent quelques jours à peine de l’espoir que cette union sera définitive, puisque quelques heures seulement s’écoulent entre le moment où ils s’unissent devant Dieu et la fin foudroyante de Violette. Dans la mort seule s’épanouit leur amour ! De même, Silla erre durant toute son existence dans l’incertitude des sentimens comme dans celle des idées et de l’action ; ses sens le dominent et l’étreignent trop encore, et il n’a pas la force d’aller vers le doux et pur amour qui l’attire ; mais comme il est tué brutalement au moment où sa volonté semblait enfin orientée vers lui, cet amour lui est acquis pour l’Au-Delà et cela seul importe. Edith ferme son cœur à tout autre amour terrestre, pour toujours, et dans le monde où il vient d’entrer, Conrad Silla le sait et en est heureux. Son corps gît, abandonné ; mais si « on avait découvert son visage, on l’aurait trouvé calme. »


Il savait qu’il allait à la paix, au repos après lequel il avait tant soupiré, et il savait aussi, dans la chère vision à peine commencée pour lui, qu’il